mercredi 1 avril 2020

Découverte du concept d'asexualité

La découverte du concept d'"asexualité" est quelque chose qui, en mettant enfin un mot sur une particularité mystérieuse ressentie depuis toujours, a complètement bouleversé ma vie. Et pourtant... il m'a fallu du temps pour m'y intéresser enfin véritablement.

J'entends parler d'asexualité pour la première fois à la trentaine.
Un reportage à la télévision m'apprend qu'un américain d'une vingtaine d'années nommé David Jay a fondé une communauté nommée AVEN, qui regroupe des gens qui ont en commun de se dire totalement désintéressés par le sexe. Dans le sillage, de nombreux groupes se sont formés, et plusieurs sites différents sont apparus pour en parler.
 Et... je ne suis pas tout de suite intéressé par le phénomène.

Cela me paraît très étrange rétrospectivement. Que s'est-il passé ? J'étais totalement seul face à toutes ces interrogations dans ma tête. Je me sentais totalement "anormal", en marge du monde. Hormis parfois quelques personnages dans des romans ou films qui semblaient également indifférents à la chose (je pense consacrer un article sur le sujet prochainement...), PERSONNE ne semblait partager cette anomalie qui était la mienne. Et là tout d'un coup, j'apprends l'existence de cette communauté de gens, et je ne cherche même pas tout de suite à en savoir plus !
Comment s'expliquer ça, des années plus tard ?

Rétrospectivement, je pense à deux facteurs.

-Au moment où j'entends parler de cela, ma psychanalyse n'est pas encore achevée, et je me considère encore en quelques sortes comme un malade, un grand traumatisé, qu'il faut guérir. Je prends petit à petit conscience que ce manque de désir semble très difficile à changer, qu'il fait peut-être partie de mon identité, mais je garde l'espoir de devenir "normal", comme tous mes amis, comme tous les gens qui m'entourent. Je n'ai pas encore renoncé à ce rêve de me réveiller un jour en ayant envie de baiser comme tout le monde, de sortir draguer dans les bars, de coucher avec quelqu'un le samedi soir, de pouvoir enfin connaître ces sensations dont tout le monde parle et qui me sont inconnues... Et je crois que je perçois donc (à tort !) les membres de ces communautés qui revendiquent l'asexualité, à cette époque, un peu comme des démissionnaires, des gens qui ont renoncé à livrer le combat que je mène. J'ai tellement intégré qu'il n'était pas possible d'être vraiment indifférent au sexe, que cela venait forcément d'un "problème" interne, que je ne prends pas au sérieux ces gens qui affirment le contraire. Ce sont les dégâts du conditionnement mental.

-Le reportage télévisé que je vois me semble montrer que ces gens ressentent de la fierté à être asexuels et à le proclamer (encore une fois je me trompe complètement, mais c'est le ressenti que j'en ai à cette époque là). Or, moi, non seulement je ne me résous pas encore à ce moment-là à laisser tomber complètement la sexualité, mais j'ai en plus un mal fou avec tout ce qui est de l'ordre du militantisme, du communautarisme, de la fierté identitaire. Cela n'a JAMAIS fait partie de mon logiciel.
Est-ce que le reportage télévisé dépeignait vraiment les choses ainsi, ou est-ce simplement la façon dont je l'ai compris à l'époque ? Je ne saurais le dire. Mais c'est ma vision à ce moment-là. Elle changera totalement quelques années plus tard, mais ne brûlons pas les étapes.

En 2010, je perds mon emploi dans le Sud et ma psychanalyse s'achève.
En 2011, je reviens habiter à Paris, ma région d'origine.
Plaisir de revoir mes anciens amis mais aussi difficultés de retrouver une vie plus stressée, plus bruyante, avec moins de temps pour soi, et mes parents plus à proximité.
Je trouve du travail dans une radio, dans laquelle je vais m'éclater professionnellement comme jamais.

Cela fait alors plusieurs années qu'il ne se passe absolument rien de rien au niveau sentimental, et que je le vis parfaitement bien. Curieusement, durant la saison 2012-2013, plusieurs événements vont se produire.  Il est étonnant de constater comme, sur une certaine période, une suite de choses peuvent arriver dans un domaine précis, comme si la vie essayait clairement de nous faire comprendre quelque chose.

Fin 2012 donc une collègue de travail me fait une drague ouverte. Je ne suis pas très attiré par elle... mais sa maladresse a quelque chose d'attirant. Et certaines choses qu'elle me dit sont touchantes.  On flirte pendant quelques semaines. Je me sens toujours aussi mal en couple, aussi privé de liberté. Cette fille n'est pourtant pas spécialement envahissante, non, cela vient de moi. Et je n'ai pas non plus de désir physique. J'aimerais beaucoup l'avoir comme simple amie, mais je ne prends absolument aucun plaisir à être en relation avec elle. Bon. Je peux au moins me rendre compte que rien n'a évolué à ce niveau (je n'avais pas eu de simple flirt depuis plus de 10 ans).

Pourtant à la même période, je reprends contact, sur les réseaux sociaux, avec une nana que j'avais croisé 6 années plus tôt lors de mes études.
Je ressens à son égard une forme d'"inclinaison amoureuse" qui se manifeste d'une façon que j'ai déjà connue: j'aime penser à elle, sans éprouver de désir sexuel au sens propre. On se revoit. On part même quelques jours en vacances ensemble, en compagnie d'une autre amie. L'entente entre les deux filles est absolument calamiteuse. On rentre tous chez nous avant même la fin prévue originellement pour le séjour. L'expérience a été tellement désastreuse que je n'ai pas très envie de revoir cette fille au retour. Je préfère continuer à échanger un peu avec elle sur Internet... en simples amis. 

Alors que je vivais parfaitement bien depuis des années sans jamais penser aux relations amoureuses, ces deux aventures avortées avant même d'avoir commencé remettent le sujet sur la table. Elles me rappellent à quel point ce qui paraît si naturel pour beaucoup de gens semble impossible pour moi.

Je sais d'ailleurs que ce n'est en réalité pas si naturel pour beaucoup de gens. Trouver l'amour est compliqué pour tout le monde, j'en ai bien conscience lorsque j'en parle avec mes amis ou des proches. Même en étant "normal", avec une libido "ordinaire", des inclinaisons amoureuses "classiques", il est extrêmement compliqué de trouver quelqu'un et de faire fonctionner une relation. Mais j'ai le sentiment que pour moi, avec ces particularités qui sont les miennes, c'est quasiment mission impossible.

Et alors, puisque tu t'en fous ? Me direz-vous. Eh bien... ce n'est pas si simple.

J'ai maintenant plus de 30 ans. L'immense majorité de mes amis sont mariés avec des enfants. Il devient compliqué de les voir. Je ressens parfois de la solitude.
Même si je n'aime pas me fermer par principe à quelque chose, je peux tout à fait envisager l'idée de ne jamais baiser de ma vie. Mais il m'est en revanche difficile de renoncer totalement à avoir un partenaire de vie, quelqu'un qui compte vraiment, avec lequel envisager l'avenir.
Je voudrais juste que cela puisse être totalement déconnecté du sexe ! Je voudrais pouvoir démarrer une relation avec quelqu'un sans savoir que lorsque je vais parler de mon désintérêt pour le sexe, cette personne va froncer les sourcils en se disant "allons bon, sur quel mec bizarre je suis encore tombée". Je voudrais pouvoir commencer une relation sans me dire qu'à un moment la personne va me demander ça, que ce sera très important, et que je ne pourrai pas le lui donner.

L'idéal serait en fait, tout simplement, de rencontrer quelqu'un qui soit comme moi. Avec une personne qui saurait à quoi s'en tenir dès le départ, qui l'accepterait totalement, avec laquelle les choses seraient claires tout de suite, avec laquelle je serais sûr que "ça" ne poserait pas problème... quelque chose serait peut-être envisageable ? Je pourrais peut-être démarrer une relation sans ressentir cet envahissement, cette perte de liberté, qui sont possiblement en partie la conséquence de ce sentiment que tout est condamné à l'échec dès le départ ?

Même au niveau amical, ce serait bien de connaître des gens qui me ressemblent, avec lesquels échanger sur tout cela... j'ai tellement passé ma vie à me sentir différent des gens autour de moi. Qu'est-ce que cela fait de parler avec quelqu'un qui connaît exactement ces mêmes problématiques ? Je n'en ai aucune idée.

Un soir de déprime, je parle de tout cela avec un ami parisien de très longue date. C'est lui qui va me reparler des communautés d'asexuels. Il a lu un article récemment sur le sujet, et m'invite à m'y intéresser.

Je n'y avais plus pensé depuis tout ce temps.
Je n'en ai que très peu entendu parler, lui dis-je. J'ai simplement vu il y a des années un reportage télévisé qui m'en a donné un a priori pas très favorable... Est-ce que ces gens ne sont pas des militants anti-sexe, est-ce qu'ils ne revendiquent pas fièrement une forme de pudibonderie ? Sont-ils fiers de se retrouver autour de l'idée qu'ils sont "au-dessus" du sexe ? Si c'est tout cela, très peu pour moi.

"Pas du tout", me détrompe-t-il. "Ce sont des gens comme toi, qui simplement n'ont pas goût au sexe, chez qui il n'y a aucun communautarisme malsain, qui communiquent entre eux notamment pour ne pas subir cette solitude et cet isolement que tu décris. Il faut que tu t'intéresses à eux, que tu les rencontres même, pourquoi pas".

Rétrospectivement, cette conversation a quelque chose d'un peu surréaliste.
C'est cet ami, marié avec des enfants, qui a toujours eu une activité sexuelle importante, qui défend les asexuels. Et c'est moi, asexuel depuis toujours, qui porte un propos rempli de clichés et de raccourcis suspicieux à leur propos.

Je rentre chez moi. Je tape "asexualité" sur un moteur de recherche et suis rapidement orienté vers des forums de discussion remplis de témoignages. Ce que je découvre va complètement bouleverser ma vie...
Tout ce qu'écrivent et décrivent ces gens est ce que je ressens en moi depuis toujours sans pouvoir le faire comprendre aux autres.
Le simple fait de ne pas avoir d'envies sexuelles, sans qu'il n'y ait obligatoirement de rejet du sexe en tant que tel. Ce sentiment d'habiter un autre monde, une autre galaxie. Les lourdes remises en question personnelles. Les questionnements obsédants: suis-je condamné à la solitude ? Comment rencontrer un partenaire de vie qui puisse comprendre cette particularité ?
Nous sommes donc plusieurs extraterrestres ! Le fait d'avoir enfin des gens à qui en parler, des témoignages à lire, le fait de pouvoir mettre un mot sur ce que l'on ressent depuis plus de 30 ans comme une anomalie est profondément libérateur. M'ouvre aussi l'espoir de pouvoir faire de nouveaux types de rencontres.

A bientôt pour un prochain épisode.

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