mardi 31 mars 2020

Asexualité et psychanalyse

Je suis donc au milieu de la vingtaine. C'est un moment où je réside tour à tour dans plusieurs villes du Sud de la France, où je travaille pour des radios locales. Tout va plutôt bien. Je fais un boulot que j'aime, pratique à côté des activités nombreuses (musique, théâtre, bénévolat associatif), et je fais à chaque fois dans ces villes de belles rencontres humaines. Je suis content aussi d'être loin de mes parents qui ont une attitude avec moi que j'ai toujours trouvé envahissante et étouffante. Ils sont encore trop présents dans ma vie à cette époque (à travers le téléphone notamment) et j'en souffre, mais disons que c'est un moindre mal par rapport à l'époque où je vivais avec eux. Je n'ai absolument aucune vie sentimentale mais cela ne me manque pas le moins du monde.

Je ne peux cependant pas m'empêcher de m'interroger. A 27 ans n'avoir toujours aucun désir sexuel est si étrange. Même si je vis très bien comme cela, il m'est impossible de ne pas me poser de questions. Pourquoi ai-je une telle différence avec tous ceux qui m'entourent ? Est-ce que cela peut changer ? Est-ce qu'à 27 ans je suis condamné à un célibat éternel ? Si un jour j'ai envie de rencontrer quelqu'un, en serais-je capable ?  Est-ce que je dois renoncer par exemple à l'idée de fonder une famille ? Pourquoi faut-il absolument que le fait d'avoir quelqu'un dans sa vie, présent pour partager les bons et mauvais moments, soit obligatoirement lié au sexe ? Ce sont deux choses tellement distinctes dans ma tête, qui n'ont tellement rien à voir... mais je semble être seul dans mon entourage à penser ainsi.

Je vois que j'ai donc quand même besoin d'en parler, d'avoir si possible des réponses à ces questions.

Je vais donc voir une psychanalyste.

Je lui raconte tout depuis le départ: le manque de désir, le sentiment profond de différence, les flirts commencés et arrêtés très rapidement, notamment à cause de cette impression qu'il ne sera pas possible d'aller plus loin.

Voici sa réaction lorsque je lui parle de tout cela.

"C'est un peu comme si vous étiez dans une voiture, et que vous vouliez passer la deuxième vitesse avant d'avoir enclenché la première.
- C'est-à-dire ?
- La sexualité dans un rapport amoureux cela ne vient pas forcément tout de suite, c'est une deuxième phase. Avant cela il y en a une première. Il faut prendre le temps de se connaître, de s'habituer à l'autre, de faire monter le désir".

C'est une métaphore qui a sans doute sa pertinence, d'autant plus que j'ai justement un mal fou depuis des années à passer mon permis de conduire.
Je lui réponds que le souci est que je n'ai aucun plaisir déjà à la première vitesse. Dès que je commence une relation avec quelqu'un je me sens immédiatement mal. C'est comme si j'étais envahi, privé de liberté... je ne me sens bien que dans l'indépendance et j'ai l'impression de la perdre totalement. J'ai le sentiment que l'autre attend quelque chose de moi, que je dois l'appeler, lui donner des signes, alors que je n'en ai pas forcément envie. Mais surtout, je sais que passer la deuxième vitesse sera extrêmement compliqué, que je n'en aurai pas le désir. Est-ce que cela a un sens de monter dans une bagnole en sachant que l'on sera mal à l'aise en passant la première et que l'on ne pourra vraisemblablement pas passer la deuxième ? Est-ce qu'il ne vaut pas mieux marcher ou prendre les transports en commun ?

Cette psy m'interroge sur ce qui a pu, à mon avis, me rendre ainsi.
J'évoque mes rapports très difficiles avec ma mère. Je lui parle de cette relation qu'elle a établi avec moi que j'ai toujours trouvée malsaine (phrases très déplacées, gestes parfois limites - j'ai pour le moment du mal à davantage entrer dans les détails sur un blog public, peut-être que ça viendra), et culpabilisant. La psy est choquée de ce que je lui raconte, et me le dit.
Non, ce comportement de ma mère n'était pas normal du tout, pas acceptable du tout, me dit-elle.
Cela me soulage. J'ai souvent été mal à l'aise de devoir être un peu désagréable avec ma mère, de lui demander de se tenir à distance de moi, de ne pas m'appeler trop souvent. J'ai souvent été mal compris par des proches qui m'ont reproché ce comportement. Je suis rassuré, je ne suis donc pas juste un ado attardé qui demande à ses parents de lui foutre la paix.

J'ai toujours pensé que mon désintérêt pour le sexe pouvait s'expliquer en partie ainsi. Comme si cette forme de rejet vis-à-vis de ma mère s'était traduite par un rejet de l'affectivité au sens large. On sait que le rapport avec les parents définit beaucoup de choses dans le relationnel. Sans me le confirmer directement, cette psy me fait comprendre qu'en tout cas le comportement de ma mère a pu détruire des choses chez moi. 

Ces séances me sont très bénéfiques. Elles coûtent cependant cher, ne sont pas remboursées du tout, et je gagne à cette époque assez mal ma vie.

Je vais donc voir un autre psy, qui lui peut être partiellement pris en charge. Son approche est extrêmement différente, très Freudienne. Il parle très peu au cours des séances. Dans certaines, il ne dit même absolument rien, je ne l'entends pas une seule fois. Dans d'autres, il intervient ponctuellement, pour poser une question, donner une piste de réflexion ou relever une de mes paroles qui lui semble significative.
Ce type d'analyse ne convient de toute évidence pas à tout le monde, et j'ai moi-même beaucoup de doutes au départ. C'est assez déstabilisant. Je me demande si je vais continuer. Pourtant, je vois assez vite qu'il y a des effets positifs malgré tout.
Le fait de formuler les choses à voix haute face à quelqu'un qui intervient rarement, écoute simplement dans une sorte de neutralité, m'aide à parler sans aucun tabou, sans aucune retenue, et à en tirer mes conclusions personnelles. Le rapport qui se construit avec le psy (le fameux transfert) est fait de plusieurs phases: attraction ou rejet, confiance ou défiance. En analysant ces phases et ce qui les déclenche, on obtient une source de réflexion sur les rapports humains que l'on entretient en général.

Ces 4 ans d'analyse vont me faire progresser dans beaucoup de domaines. Je vais me débarrasser de troubles obsessionnels compulsifs très envahissants. Réussir à mettre de la distance avec  ma mère, avec ma famille, pouvoir m'assumer seul. Réussir à passer mon permis. Devenir adulte en quelques sortes.

Et... sur ce qui m'avait amené à démarrer l'analyse de travail au départ, la sexualité me direz-vous ?

Eh bien... rien. Cela n'a rien changé. Je m'en foutais au départ, je m'en fous toujours à l'arrivée.

Je ne sais pas véritablement ce qui m'a rendu ainsi, mais ce n'est peut-être pas possible de le savoir. Sait-on jamais pourquoi on a telle sexualité ? Pourquoi on est hétéro ou homo ? Pourquoi on a besoin de le faire souvent ou rarement ? Pourquoi on a des fantasmes classiques ou atypiques ? Pour chacun il peut y avoir des pistes, mais pas de certitudes. On subit notre libido (ou absence de...), on ne la choisit pas.

Ce qui m'apporte malgré tout une réponse supplémentaire dans mes questionnements: mon manque de désir n'était pas un traumatisme à dépasser, un problème à résoudre, une maladie à guérir, mais un simple état de fait à accepter.

A bientôt pour un prochain épisode.

samedi 28 mars 2020

L'asexualité à la sortie de l'adolescence

Les âges passent. 18, 19, 20, 21 ans. Je suis étudiant en droit. J'ai la vie assez classique d'un jeune de mon âge. Je travaille, je vais beaucoup au cinéma et à des concerts, je joue de la musique dans un groupe, je sors avec mes ami(e)s, je pars en vacances avec eux. C'est une période sympathique. Tout est à peu près normal.
Mais les gens autour de moi commencent à s'étonner de mon célibat perpétuel. Qu'est-ce qui peut donc l'expliquer ? Ils sont nombreux à m'interroger sur le sujet.

"Tu sembles bloqué sur le plan sentimental, pourquoi ?" me demande un jour un très bon ami.
Je lui dis la vérité. Je ne ressens pas vraiment l'attirance physique au sens où elle est communément admise. Ni pour des filles ni pour des garçons. Il peut m'arriver d'avoir des inclinaisons amoureuses, en général envers des filles. J'aime penser à elles, être en leur compagnie... mais je n'ai pas de désir d'aller plus loin physiquement.
Il me répond que ce que je lui dis n'est pas possible. Tout le monde, selon lui, ressent le désir sexuel. Il est convaincu que je suis en réalité apeuré à l'idée de draguer, de me lancer dans une histoire... et que pour éviter d'agir, je me suis trouvé cette excuse de "ne pas avoir envie".

Il n'est pas le seul à me dire cela. Plusieurs personnes à qui j'en parle me répondent la même chose. Selon elles, je me suis créé tout seul des barrières psychologiques, et pour les dépasser, il faut que je me lance, que je dépasse mes appréhensions et que je vive des histoires sentimentales.
Pour moi qui suis assez perdu à cette époque-là, leur discours peut sembler rationnel et cohérent. Je me dis qu'ils ont peut-être raison. Il faut que j'essaye de vivre des histoires.

Il y a C., que je rencontre au ski et avec qui je vais flirter quelques semaines. Elle est très agréable, pétillante, drôle, elle a physiquement quelque chose de Julia Roberts.

Il y a M., que je rencontre dans un train et avec qui je vais un peu flirter aussi quelques jours. Elle est comédienne. Je vois assez vite que nous sommes très différents, et que nous avons finalement assez peu d'atomes crochus.

Il y a M., un très bon ami mec, que je vais embrasser en boîte un soir.

Toutes ces histoires se termineront très vite (la plupart du temps, disons-le, avant même d'avoir vraiment commencé), parce que dans tous les cas je n'ai pas le désir de continuer.
Est-ce que je suis resté suffisamment longtemps avec ces personnes, est-ce que je leur ai vraiment donné leur chance ? Je me pose la question... est-ce que si je m'étais forcé à rester avec elles, le désir serait venu ? Peut-être.
Mais étant de nature très indépendante, je n'arrive pas du tout à me forcer à démarrer une histoire avec quelqu'un sans en avoir vraiment envie. En vérité, j'ai le sentiment d'être resté suffisamment longtemps avec ces personnes pour savoir que je n'avais pas envie de rester davantage ! Je n'ai pas de plaisir au contact physique avec elles. Et si le plaisir n'est pas là, pourquoi ne pas rester amis ? Est-ce que ce n'est pas cela qui distingue l'amour de l'amitié ? Le rapport physique ? J'en arrive à l'histoire suivante...

Il y a M. Âgée à l'époque de 31 ans (moi j'en ai 21), elle est cliente régulière du vidéo club où je travaille pour gagner un peu d'argent. On s'entend très bien. A chaque fois qu'elle passe à la boutique, on parle cinéma, on rigole. Elle me propose de venir chez elle un soir, et me dit qu'on se fera un ciné dans la foulée. Avec plaisir !
On passe la soirée à parler, à se raconter nos vies. Une belle complicité se tisse. On en vient à parler de nous plus intimement. Elle me raconte ses histoires sentimentales, et m'invite ensuite à raconter les miennes. Je lui confie qu'à l'âge de 21 ans, je n'ai connu encore aucune histoire d'amour, et même aucune relation sexuelle. Elle est très surprise. J'ai pourtant l'air si sociable, si à l'aise avec les gens, si peu timide ! Qu'est-ce qui peut donc expliquer ça ?... Je lui dis que je ne le sais pas vraiment moi-même.
Elle ne semble pas bloquée par cette révélation. Me demande la permission de m'embrasser. Je dis oui ! Et j'y éprouve un certain plaisir.

Nous nous revoyons quelques soirs plus tard. Si j'ai eu du plaisir à l'embrasser le premier soir, je n'en ai plus beaucoup aujourd'hui. Je ne sais pas pourquoi, le plaisir ne se commande pas hélas... je l'embrasse et la caresse mécaniquement, sans en ressentir la moindre envie.
Elle a envie de passer rapidement à la vitesse supérieure, et se dit qu'il faut peut-être me brusquer un peu pour que cela arrive. Elle se déshabille et m'invite à la rejoindre dans son lit. Mais je n'ai absolument aucun désir d'elle. Pas le moindre. Comment mettre fin à cette situation embarrassante ? Je lui explique très maladroitement les choses. J'aimerais aujourd'hui revenir en arrière pour les lui faire comprendre plus intelligemment et avec plus de tact. Elle se sent rejetée car je n'ai pas bien su m'exprimer, je lui ai donné l'impression qu'elle était la cause de mon blocage. Elle me dit que je devrais "baiser un coup". Mais ce n'est pas possible. La soirée tombe à l'eau. On ne se reverra plus par la suite.
Ce qu'elle me dit ce soir-là, je vais l'entendre souvent,de la part de proches, de la part d'amis. "Essaye !" "Fais-le une bonne fois pour toutes !".

J'entends évidemment cet argument, et sur le papier il est on ne peut plus rationnel. Dans les faits, je le trouve pourtant considérablement difficile à mettre en oeuvre...
On peut se forcer à plein de choses. On peut se forcer à manger un aliment que l'on n'aime pas. On peut se forcer à travailler avec un collègue que l'on n'apprécie pas. Se forcer à visiter un proche que l'on n'a pas très envie de voir. Se forcer à faire des corvées nécessaires. Mais se forcer à un acte sexuel ?  Quel en est le sens ? Est-ce que ce n'est pas quelque chose que l'on doit - et peut - faire uniquement avec pleine et entière volonté ? Pourquoi quelque chose qui est si naturel aux autres devrait me demander à moi un tel effort contre moi-même ?
Qu'est-ce qui fait que l'on va pouvoir se déshabiller avec quelqu'un, et avoir un acte sexuel avec cette personne ? La réponse est simple: c'est le désir ! C'est l'envie, une forte envie ! Et ce n'est donc pas quelque chose que l'on peut faire en se forçant... C'est quelque chose de très difficile à faire comprendre aux gens autour de moi.

Les 5 ou 6 années qui suivent se passeront sans la moindre petite aventure. Je ne vais pourtant me fermer à rien, résister à rien, je ne vais simplement pas chercher l'amour physique, et vivre selon mes désirs. Je vais déménager dans des villes de France où je vais apprendre un métier (travailler pour la radio) que je vais adorer. A chaque fois, à chacun de ces endroits, je vais avoir des amis, faire plein d'activités passionnantes (musique, théâtre, bénévolat associatif). Je n'aurai aucune vie sexuelle et n'en souffrirai pas le moins du monde. Mais je continuerai néanmoins de me demander pourquoi j'ai cette différence avec les autres. Cette question ne me laissera jamais vraiment en paix.
Est-ce que cela ne vaudrait pas la peine d'y réfléchir vraiment ?
Est-ce que cela viendrait d'un traumatisme ?  De mes rapports si horriblement compliqués avec ma mère par exemple ?
Est-ce qu'il ne faut pas que je démarre un vrai travail psychanalytique pour en savoir plus, travailler sur tout cela ?

A bientôt pour un prochain épisode.

vendredi 27 mars 2020

L'asexualité à l'adolescence

Je vais essayer, dans plusieurs articles ici, de détailler les différents moments charnière de mon rapport à l'asexualité, depuis la découverte jusqu'à l'acceptation de celle-ci, en passant par les essais (infructueux) pour essayer de me changer moi-même, de devenir "normal" en quelques sortes.

Commençons par l'adolescence.

C'est l'âge auquel tout le monde découvre ce qu'est l'attirance sexuelle, et en parle sans arrêt.
Je peux moi-même, à cette époque (et même avant déjà) avoir parfois des fantasmes, des stimulations sexuelles. Pourtant, l'idée de coucher avec quelqu'un ne me procure absolument aucune émotion, n'éveille aucun intérêt chez moi.

Autour de moi, tous mes amis se mettent à parler de leur désir d'avoir des relations sexuelles. Je réalise vite que je ne suis pas du tout sur la même longueur d'onde qu'eux.

J'ai ce souvenir marquant, qui date de l'année 1994. J'ai alors 15 ans, et je suis à une soirée organisée par un ami - si vous êtes de cette génération vous vous rappelez qu'à l'époque on appelait cela une "boum".

L'organisateur de la soirée déclare à propos d'une de nos camarades (absente ce jour-là) la phrase suivante : "elle, j'aimerais lui mettre une bite dans le cul !" (sic). En l'entendant, je suis un peu interloqué. Pas du tout par la vulgarité de la phrase. Non, je ne comprends simplement pas POURQUOI il dit ça... Qu'est-ce que cela peut donc procurer comme plaisir de faire ça ?... Je ne vois pas du tout. En quoi peut-il être excitant de faire ce qu'il a dit, là ? Je ne comprends pas.

Mes amis de l'époque regardent bien sûr parfois, comme tous les ados, des films pornos, en groupe. Il m'arrive d'en voir un avec eux parfois. Cela ne me fait absolument aucun effet. Rien. Pas de dégoût, encore une fois: si ces gens à l'écran s'éclatent à faire ce qu'ils font, très bien, tant mieux pour eux ! Mais je ne comprends pas de quoi il s'agit. Moi je m'éclate à aller au cinéma, à faire de la musique, jouer de la guitare, à nager, à voir mes amis. Eux s'éclatent à faire ça visiblement. Chacun son truc.

Dans plein de livres que je lis, on parle de la sexualité comme de la pulsion humaine ultime. Les personnages recherchent le sexe comme le Saint Graal. Ceux qui ne le pratiquent pas en souffrent.
Je découvre également la pensée de Freud. Ce que j'en comprends et en retiens à l'époque, c'est plus ou moins ceci: tout s'explique par les pulsions sexuelles. Ah bon. Tout. Rien que ça. D'accord. Au moins c'est simple...

Je me retrouve, à vrai dire, perdu dans un monde sans aucun sens. Pour vous donner une idée de ce que je peux ressentir à cette époque (et parfois encore aujourd'hui...) imaginez que tout le monde autour de vous dise: "le plus grand plaisir de la vie c'est de se verser du sel sur la main, on ne peut pas y échapper, tout le monde ressent ça !!!". Vous, vous êtes là: "hein ?... ben non, pas du tout."...

Pour filer la métaphore, imaginez que vos amis regardent des films le premier samedi du mois sur Canal Plus avec des gens qui se versent du sel sur la main et deviennent fous d'excitation, hurlent des cris de plaisir.
Régulièrement, dans les films que vous voyez au cinéma, séries que vous regardez à la télé, ou livres que vous lisez, le personnage est désespéré parce qu'il n'a pas de sel à se verser sur la main. A la fin du film, il réussit enfin à trouver une salière et à s'en verser, et tout s'éclaircit pour lui. Hop, générique de fin, musique joyeuse. Ouf, on a frôlé la catastrophe ! Voilà ce que je ressens à l'époque par rapport à tout ce monde autour de moi qui évoque la sexualité comme la jouissance absolue. Une totale incompréhension.
Auprès de mes amis je fais semblant d'être normal. Je ne parle à personne de toutes ces interrogations dans ma tête. Comme je suis plutôt du genre discret, à peu m'épancher, ils ne me trouvent pas étrange.

Pourtant, à cette époque là, il m'arrive d'être attiré par des camarades de classe. Je peux même dire que j'ai envers certaines d'entre elles, parfois, quelque chose qui ressemble à de l'attraction amoureuse. Mais je n'ai pas pour autant le désir de relations sexuelles... Imaginer faire l'amour avec elles ne me procure aucune émotion. Je m'interroge bien sûr au sujet de mon orientation sexuelle, mais je constate que mes camarades masculins n'éveillent pas davantage de désir (et encore moins d'"inclinaison amoureuse").

J'ai un premier flirt à l'âge de 17 ans, qui ne dure pas très longtemps. Nous nous entendons bien, et elle me plaît physiquement. Mais je n'ai aucune envie que ça aille au-delà de bisous bisous.

Même le bisous bisous, à vrai dire, ne me procure que peu d'émotions. Je suis beaucoup plus à l'aise avec elle en ami que dans le contact physique. L'histoire se termine très vite.

Pourquoi suis-je comme cela, si différent des autres ? Je me pose mille questions. Personne au monde ne semble être comme moi. Le sexe ne semble provoquer que des réactions extrêmes. Pour certains adolescents, c'est un but, un rêve, une obsession, qu'ils évoquent les yeux brillants et le regard empli d'attente envers cette promesse d'absolu qu'ils ne connaissent, pour la plupart, pas encore. Pour d'autres, plus rares, c'est un répulsif, un sujet tabou, dont ils parlent avec une moue de rejet et de honte. Moi, simplement, je m'en fous...

J'en parle à une psychologue, que je vais consulter au départ pour un autre motif. Elle réagit avec beaucoup de bienveillance.

"Tout ne se fait pas en 5 minutes... me dit-elle
-C'est-à-dire ?
-Il faut du temps pour que le corps accède à l'érotisme. Du temps pour connaître son rapport personnel à ce sujet-là. Cela peut prendre des années. Ce que tu racontes n'a rien d'anormal à ton âge.
-Je ne sais pas... je vois mes amis, ils ne sont pas comme ça... A écouter la façon dont ils en parlent, je ne réagis pas du tout normalement quand je vois une belle fille... est-ce grave ?
-Comment devrais-tu réagir ?
-Je ne sais pas...
-Comme le loup de Tex Avery ?
-Peut-être...
-Non. Et pour répondre à ta question, non, je ne pense pas que c'est grave.
Elle m'invite à prendre le temps de construire une relation sans me mettre aucune pression. Me dit que les choses se feront naturellement.

Je sors de ce rendez-vous un peu plus léger... d'abord par le fait d'avoir été écouté avec attention, d'avoir pu en parler simplement, et d'avoir reçu une réponse rassurante.
Je vais donc attendre de devenir normal. Est-ce qu'un jour je me réveillerai, le ciel sera bleu, les oiseaux chanteront, et j'aurai envie de baiser comme tout le monde ? Je ressentirai enfin que je fais partie de la communauté humaine à part entière ? Je serai libéré de ce poids-là ? C'est l'espoir que j'ai alors en quittant cette consultation...

A bientôt pour un prochain épisode.

jeudi 26 mars 2020

Qu'est-ce que l'asexualité ?

Je m'appelle Tom Bonner. Je suis âgé de 40 ans. Et je suis asexuel.

Je vais essayer, à travers de ce blog, de vous en dire plus sur cette particularité étrange qui est la mienne, puisque nous ne serions qu'1% sur la surface de la Terre à être ainsi, selon des études encore trop imprécises à ce jour.

Je ne sais pas si à l'heure actuelle l'asexualité est véritablement reconnue comme une orientation sexuelle à part entière. Pourtant c'est l'orientation que je ressens en moi depuis toujours.

Qu'est-ce que l'asexualité ? 

L'asexualité est le fait de n'avoir pas envie d'avoir des relations sexuelles avec les autres.
Elle est à ce jour très mal connue. Il faut pourtant prendre le temps de bien la définir pour la comprendre. Je vais pour cela tout d'abord répondre à quelques questions que l'on peut se poser très légitimement lorsque l'on en entend parler pour la première fois.

L'asexualité est-elle synonyme de dégoût du sexe ? 

Ce n'est pas du tout synonyme non. Certains asexuels peuvent éprouver cela, mais pas d'autres. Je fais personnellement partie de la deuxième catégorie. J'ai envie de dire à tous ceux qui aiment le sexe de le pratiquer le plus possible. Et moi-même, je ne suis pas dégoûté le moins du monde à l'idée de le pratiquer. Ce que je ressens vis-à-vis de lui est avant tout de l'indifférence. Comment est-il possible de ne ressentir que du désintérêt par rapport à tout ce qui rend l'humanité folle de désir depuis des millénaires ? Là est toute la question, toute la difficulté, tout l'absurde d'une situation que je compte évoquer justement en détails dans ce blog.

L'asexualité est-elle synonyme d'abstinence ?

Non plus. On peut avoir un intérêt profond pour le sexe sans le faire (faute de trouver des partenaires par exemple). On peut aussi n'avoir aucun attrait pour la chose mais la pratiquer quand même, pour faire plaisir à son conjoint. Telle est la réalité de nombreuses personnes, asexuelles ou non !

L'asexualité signifie-t-elle n'avoir aucun fantasme, jamais ? N'avoir aucune activité solitaire par exemple ? 

Non, cela ne signifie pas cela. On peut très bien avoir des fantasmes sans pour autant avoir le désir d'avoir des relations sexuelles avec quelqu'un d'autre. On peut être excité par des scènes imaginaires qui ne comportent pas de rapport physique (dit autrement, être excité simplement par l'idée de penser à quelqu'un sans avoir envie de le toucher). On peut aussi avoir une libido totalement comblée par la masturbation, et donc ne pas ressentir l'envie de pratiquer à plusieurs. Tout cela est compatible avec l'asexualité.

L'asexualité est-elle synonyme de frigidité ? 

Peut-être en partie, je ne saurais pas me prononcer véritablement sur le sujet. Il me semble que "frigide" est un mot qui a acquis une connotation péjorative, tout comme "pédale", "tantouze" ou "gouine" sont également dévalorisants pour désigner une personne homosexuelle.
On pense "pédale", on imagine Renato dans La cage aux folles. On ne pense pas à Arthur Rimbaud.
On dit "gouine", on voit Josiane Balasko dans Gazon maudit. On ne pense pas à Colette.
On pense "frigide", on imagine une femme et un homme complètement coincés, tristes à mourir. On ne pense pas à Franz Schubert ou Emily Bronte, qui n'ont jamais vraiment manifesté d'intérêt pour le sexe durant leur vie.

Peut-il enfin y avoir des degrés dans l'asexualité ? 

Probablement, oui. Certains asexuels n'ont jamais eu envie une seule fois d'avoir des relations sexuelles. D'autres peuvent en ressentir très occasionnellement le désir. Personnellement c'est mon cas. Il y a peut-être eu deux ou trois personnes qui ont suscité cela chez moi en 40 ans... Et je ne suis même pas sûr que j'aurais vraiment eu envie de relations avec ces personnes si l'occasion s'était présentée. Ce que j'aimais, c'était avant tout le fantasme, pouvoir me dire que c'était possible. Mais le désir en lui-même était probablement trop faible pour que cela aboutisse à quelque chose de concret.
Vous savez, parfois vous passez devant une belle publicité dans le métro pour un voyage en Amérique du Sud. Vous vous dites : "ça a l'air beau, tiens, si j'y allais cet été ?". Et puis vous pensez à autre chose, vous vous remettez au travail, et le voyage disparaît complètement de votre tête. Parce qu'au fond, ce voyage, vous avez eu envie d'en rêver quelques minutes, mais vous n'avez pas vraiment eu envie de le faire. Les rares fois où j'éprouve du désir sexuel peuvent se résumer à cela...

A bientôt pour un prochain épisode.