samedi 28 mars 2020

L'asexualité à la sortie de l'adolescence

Les âges passent. 18, 19, 20, 21 ans. Je suis étudiant en droit. J'ai la vie assez classique d'un jeune de mon âge. Je travaille, je vais beaucoup au cinéma et à des concerts, je joue de la musique dans un groupe, je sors avec mes ami(e)s, je pars en vacances avec eux. C'est une période sympathique. Tout est à peu près normal.
Mais les gens autour de moi commencent à s'étonner de mon célibat perpétuel. Qu'est-ce qui peut donc l'expliquer ? Ils sont nombreux à m'interroger sur le sujet.

"Tu sembles bloqué sur le plan sentimental, pourquoi ?" me demande un jour un très bon ami.
Je lui dis la vérité. Je ne ressens pas vraiment l'attirance physique au sens où elle est communément admise. Ni pour des filles ni pour des garçons. Il peut m'arriver d'avoir des inclinaisons amoureuses, en général envers des filles. J'aime penser à elles, être en leur compagnie... mais je n'ai pas de désir d'aller plus loin physiquement.
Il me répond que ce que je lui dis n'est pas possible. Tout le monde, selon lui, ressent le désir sexuel. Il est convaincu que je suis en réalité apeuré à l'idée de draguer, de me lancer dans une histoire... et que pour éviter d'agir, je me suis trouvé cette excuse de "ne pas avoir envie".

Il n'est pas le seul à me dire cela. Plusieurs personnes à qui j'en parle me répondent la même chose. Selon elles, je me suis créé tout seul des barrières psychologiques, et pour les dépasser, il faut que je me lance, que je dépasse mes appréhensions et que je vive des histoires sentimentales.
Pour moi qui suis assez perdu à cette époque-là, leur discours peut sembler rationnel et cohérent. Je me dis qu'ils ont peut-être raison. Il faut que j'essaye de vivre des histoires.

Il y a C., que je rencontre au ski et avec qui je vais flirter quelques semaines. Elle est très agréable, pétillante, drôle, elle a physiquement quelque chose de Julia Roberts.

Il y a M., que je rencontre dans un train et avec qui je vais un peu flirter aussi quelques jours. Elle est comédienne. Je vois assez vite que nous sommes très différents, et que nous avons finalement assez peu d'atomes crochus.

Il y a M., un très bon ami mec, que je vais embrasser en boîte un soir.

Toutes ces histoires se termineront très vite (la plupart du temps, disons-le, avant même d'avoir vraiment commencé), parce que dans tous les cas je n'ai pas le désir de continuer.
Est-ce que je suis resté suffisamment longtemps avec ces personnes, est-ce que je leur ai vraiment donné leur chance ? Je me pose la question... est-ce que si je m'étais forcé à rester avec elles, le désir serait venu ? Peut-être.
Mais étant de nature très indépendante, je n'arrive pas du tout à me forcer à démarrer une histoire avec quelqu'un sans en avoir vraiment envie. En vérité, j'ai le sentiment d'être resté suffisamment longtemps avec ces personnes pour savoir que je n'avais pas envie de rester davantage ! Je n'ai pas de plaisir au contact physique avec elles. Et si le plaisir n'est pas là, pourquoi ne pas rester amis ? Est-ce que ce n'est pas cela qui distingue l'amour de l'amitié ? Le rapport physique ? J'en arrive à l'histoire suivante...

Il y a M. Âgée à l'époque de 31 ans (moi j'en ai 21), elle est cliente régulière du vidéo club où je travaille pour gagner un peu d'argent. On s'entend très bien. A chaque fois qu'elle passe à la boutique, on parle cinéma, on rigole. Elle me propose de venir chez elle un soir, et me dit qu'on se fera un ciné dans la foulée. Avec plaisir !
On passe la soirée à parler, à se raconter nos vies. Une belle complicité se tisse. On en vient à parler de nous plus intimement. Elle me raconte ses histoires sentimentales, et m'invite ensuite à raconter les miennes. Je lui confie qu'à l'âge de 21 ans, je n'ai connu encore aucune histoire d'amour, et même aucune relation sexuelle. Elle est très surprise. J'ai pourtant l'air si sociable, si à l'aise avec les gens, si peu timide ! Qu'est-ce qui peut donc expliquer ça ?... Je lui dis que je ne le sais pas vraiment moi-même.
Elle ne semble pas bloquée par cette révélation. Me demande la permission de m'embrasser. Je dis oui ! Et j'y éprouve un certain plaisir.

Nous nous revoyons quelques soirs plus tard. Si j'ai eu du plaisir à l'embrasser le premier soir, je n'en ai plus beaucoup aujourd'hui. Je ne sais pas pourquoi, le plaisir ne se commande pas hélas... je l'embrasse et la caresse mécaniquement, sans en ressentir la moindre envie.
Elle a envie de passer rapidement à la vitesse supérieure, et se dit qu'il faut peut-être me brusquer un peu pour que cela arrive. Elle se déshabille et m'invite à la rejoindre dans son lit. Mais je n'ai absolument aucun désir d'elle. Pas le moindre. Comment mettre fin à cette situation embarrassante ? Je lui explique très maladroitement les choses. J'aimerais aujourd'hui revenir en arrière pour les lui faire comprendre plus intelligemment et avec plus de tact. Elle se sent rejetée car je n'ai pas bien su m'exprimer, je lui ai donné l'impression qu'elle était la cause de mon blocage. Elle me dit que je devrais "baiser un coup". Mais ce n'est pas possible. La soirée tombe à l'eau. On ne se reverra plus par la suite.
Ce qu'elle me dit ce soir-là, je vais l'entendre souvent,de la part de proches, de la part d'amis. "Essaye !" "Fais-le une bonne fois pour toutes !".

J'entends évidemment cet argument, et sur le papier il est on ne peut plus rationnel. Dans les faits, je le trouve pourtant considérablement difficile à mettre en oeuvre...
On peut se forcer à plein de choses. On peut se forcer à manger un aliment que l'on n'aime pas. On peut se forcer à travailler avec un collègue que l'on n'apprécie pas. Se forcer à visiter un proche que l'on n'a pas très envie de voir. Se forcer à faire des corvées nécessaires. Mais se forcer à un acte sexuel ?  Quel en est le sens ? Est-ce que ce n'est pas quelque chose que l'on doit - et peut - faire uniquement avec pleine et entière volonté ? Pourquoi quelque chose qui est si naturel aux autres devrait me demander à moi un tel effort contre moi-même ?
Qu'est-ce qui fait que l'on va pouvoir se déshabiller avec quelqu'un, et avoir un acte sexuel avec cette personne ? La réponse est simple: c'est le désir ! C'est l'envie, une forte envie ! Et ce n'est donc pas quelque chose que l'on peut faire en se forçant... C'est quelque chose de très difficile à faire comprendre aux gens autour de moi.

Les 5 ou 6 années qui suivent se passeront sans la moindre petite aventure. Je ne vais pourtant me fermer à rien, résister à rien, je ne vais simplement pas chercher l'amour physique, et vivre selon mes désirs. Je vais déménager dans des villes de France où je vais apprendre un métier (travailler pour la radio) que je vais adorer. A chaque fois, à chacun de ces endroits, je vais avoir des amis, faire plein d'activités passionnantes (musique, théâtre, bénévolat associatif). Je n'aurai aucune vie sexuelle et n'en souffrirai pas le moins du monde. Mais je continuerai néanmoins de me demander pourquoi j'ai cette différence avec les autres. Cette question ne me laissera jamais vraiment en paix.
Est-ce que cela ne vaudrait pas la peine d'y réfléchir vraiment ?
Est-ce que cela viendrait d'un traumatisme ?  De mes rapports si horriblement compliqués avec ma mère par exemple ?
Est-ce qu'il ne faut pas que je démarre un vrai travail psychanalytique pour en savoir plus, travailler sur tout cela ?

A bientôt pour un prochain épisode.

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