lundi 27 avril 2020

Aromantique ?

L'autre nuit (celle de vendredi à samedi...), j'ai fait un rêve étrange: j'étais en couple avec quelqu'un, et ça se passait bien. Je n'en ai qu'un souvenir très furtif. Comme d'habitude je me souviens souvent parfaitement de rêves sans aucun intérêt, et celui-là, si étonnant dans son principe, je l'ai oublié quasi totalement. Je revois très vaguement la fille en question, du moins son look: elle était habillée en jogging (période de confinement oblige ? 😄). Je crois que des gens critiquaient notre relation, et que je leur disais qu'au contraire, ça se passait bien. Il ne me semble pas avoir déjà fait de rêve du genre. Il ne se passait rien de sexuel, par contre. Je ne sais pas ce que c'est qu'un rêve érotique.

Suis-je aromantique ? Je me pose bien entendu cette question. J'ai déjà raconté à quel point le moindre début de flirt me donnait toujours envie de fuir à toutes jambes.

Je me dis que la vie elle-même répond parfois aux questions que l'on se pose. En 40 ans, je n'ai jamais supporté une seule fois d'être en relation, je n'ai jamais une seule fois rencontré quelqu'un avec qui cela semblait pouvoir se produire, je n'en ai jamais vraiment souffert, je ne peux pas dire non plus que je suis déjà véritablement tombé amoureux même si j'ai parfois eu des inclinaisons romantiques envers des gens... tout cela peut constituer un début de réponse.

Je n'ai cependant pas renoncé au couple comme je l'ai dit plusieurs fois.  Donc après le top 10 de tout ce qui me rebute dans cette idée, j'ai envie, en éternel geek, de poster le top de ce qui peut me donner envie.

1) La curiosité. J'aime tenter de nouvelles expériences. J'ai besoin de me confronter vraiment aux choses pour savoir si elles me plaisent ou pas. Je ne l'ai jamais fait véritablement avec le couple, parce que je ne veux pas être avec quelqu'un qui va me demander du sexe (auquel je n'ai pas besoin pour le coup de me confronter pour savoir qu'il ne m'intéresse pas, parce qu'il repose sur une pulsion de désir que je n'ai pas).

2) Avoir quelqu'un à rendre heureux. J'ai toujours voulu avoir une vie qui soit le moins égoïste possible. Mais dans les faits, elle l'est peut-être un peu. J'essaye de donner aux autres à travers mon métier (et j'écris aussi ce blog dans l'espoir, pourquoi pas, d'aider des gens qui pourraient se reconnaître dans ce que j'écris), mais ça ne suffit pas toujours. Entendons-nous bien: je ne fais aucun parallèle entre le fait d'être célibataire et le fait d'être égoïste. Ca n'a RIEN à voir, même si je l'entends souvent dire (j'ai souvent envie de demander aux gens qui disent cela qui est le plus égoïste entre l'abbé Pierre et un mari violent ?). Disons simplement que j'aimerais expérimenter cette façon-là de penser à quelqu'un d'autre. Dans la série Treme, que je découvre en cette période de confinement, il y a cet épisode dans lequel un type essaye de convaincre sa copine de rester à la Nouvelle-Orléans. Il lui organise toute une journée, où il l'emmène dans de nombreux lieux, lui prépare plein de surprises, pour la convaincre de rester. Eh bien voilà, ça c'est un plaisir que je ne connais pas, que je peux concevoir, dans lequel je peux me projeter, et que j'aimerais connaître. Avoir quelqu'un à qui on peut préparer ce genre de surprises, et voir l'étincelle de bonheur dans ses yeux.

3) Avoir (et donner) du soutien. La valeur de l'indépendance, c'est la liberté, mais le prix à payer, c'est de renoncer à quelqu'un qui croit en vous et peut vous donner de la force. Je disais dans l'article précédent que l'abstinence sexuelle m'avait parfois aidé à me transcender, mais je ne dirais pas la même chose de la solitude. Lorsque j'ai besoin de soutien, et que je ne peux pas en avoir auprès d'amis, j'ai tendance à user de la solution de facilité, c'est-à-dire me tourner vers ma famille, ce qui est très mauvais pour moi. Je suis encore beaucoup trop dépendant d'eux et j'en souffre. J'ai réussi, notamment grâce à la psychanalyse, à me détacher d'eux, mais pas suffisamment. Il me faudrait un échappatoire. Mais il ne faut pas non plus attendre du couple qu'il puisse nous "sauver", car c'est un fardeau trop lourd à mettre sur les épaules de quelqu'un d'autre, Fabrice Luchini en parle dans cette géniale vidéo, à voir absolument si vous ne la connaissez pas.



4) Une personne spéciale avec laquelle partager de bons moments (voyager, regarder des films, des séries, aller à des concerts). Bon, ça peut se faire avec des amis, me direz-vous. Et ça pose aussi un problème: j'ai tendance à faire passer mes désirs après ceux des autres. Avec les gens, je fais très souvent des compromis sur ce que j'ai envie de faire. Mes désirs rejoignent rarement les leur. A tous les niveaux, j'ai des goûts un peu en marge, qui ne sont pas partagés par la plupart. Je ne veux pas imposer mes envies aux autres... et ce sont souvent eux qui m'imposent les leur. Je me dis souvent qu'en couple, j'ai toutes les chances de reproduire ce schéma et de me faire bouffer par lui.

5) Lire des histoires de couples asexuels sur des forums. On en lit sur AVEN par exemple, et ça peut donner envie d'en vivre.

Quelques questions que vous vous posez peut-être en lisant tout ça (ou que je me pose à moi-même en écrivant):

Fais-tu des efforts pour faire une rencontre ? 

Je ne me ferme à rien. Je sors régulièrement, je travaille aux quatre coins de la France, et j'ai donc l'occasion de faire de multiples rencontres. Je ne me vois pas m'inscrire en revanche sur des applications comme Tinder, Adopteunmec... à tort ou à raison, j'ai le sentiment qu'elles ne sont pas faites pour les personnes asexuelles, et que j'y serai comme un poisson hors de l'eau.

Fais-tu des efforts pour rencontrer des asexuels dans la vie, et nouer des relations avec eux ? 

Non, aucun pour le moment, j'en parle ici...

Es-tu prêt à en faire ? 

Peut-être. Pas de la façon dont je l'ai déjà fait (me rendre à des réunions ouvertes), mais plutôt en sympathisant d'abord "virtuellement" sur Internet avec des gens pour avoir envie de les rencontrer ensuite.

Voilà, j'ai tellement pris l'habitude de me justifier auprès de mon entourage que je dois même me justifier auprès de moi-même, ou de questions imaginaires qu'on ne m'a pas posé. Comme si trouver l'amour n'était qu'une question d'"efforts justes" à fournir. De se "bouger le cul". D'oser simplement "traverser la rue". On sait très bien que ce n'est pas le cas.

On peut aussi constater que je ne trouve que 5 raisons d'expérimenter la relation amoureuse (et encore, la raison 4 n'en est pas vraiment une puisque j'explique comment elle pourrait se retourner contre moi), quand j'en trouvais 10 de la fuir.

KO debout au profit du célibat, alors ?

Pourtant, si je me reconnais dans le terme de greysexuel, je ne me reconnais pas encore dans celui d'aromantique... et ne fais pas encore une croix sur l'idée d'avoir un jour une relation qui ressemble à la conception que je puisse m'en faire.

A bientôt pour un prochain épisode.

jeudi 23 avril 2020

Ne pas baiser, c'est rater sa vie ? (spoiler: non)

Lorsque l'on parcourt des forums, il est fréquent de tomber sur des messages de membres qui viennent de découvrir qu'ils sont asexuels, et qui craignent qu'une vie privée de sexe soit nécessairement synonyme de tristesse et d'ennui.

Voici ce que j'ai lu il y a encore quelques jours sur un forum américain.

L'idée d'être asexuel me déprimait. J'avais cette idée que l'on ne pouvait pas vivre une existence bien remplie ou particulièrement intéressante en étant ace. 

Moi-même, lorsque j'ai essayé pendant toutes ces années de me changer, de devenir "normal", il y avait en creux cette idée dans ma tête: si je ne baise pas, je vais rater ma vie.

Est-ce une idée justifiée ou non ?

La question est complexe évidemment dans la mesure où chacun a son idée personnelle de ce que peut signifier "réussir" ou "rater" sa vie (je n'ai d'ailleurs jamais aimé cette formulation des choses: la vie est-elle un examen ? On aurait pu me prévenir, j'ai loupé tous les cours et n'ai fait aucune révision !).

La première est une sorte d'évidence: on peut très bien ne jamais pratiquer le sexe, ou le pratiquer extrêmement peu, et accomplir malgré tout de très très grandes choses lors de son passage sur Terre. De Jeanne d'Arc à JM Barrie en passant par Emily Bronte, Franz Schubert, Lewis Carroll, Emmanuel Kant ou Isaac Newton, les exemples sont légion.

La deuxième est moins évidente: certains affirment que c'est le fait même de se passer de sexe qui les conduit à accomplir de grandes choses...

En voici quelques exemples.

John Frusciante


John Frusciante est le génial guitariste du groupe Red Hot Chili Peppers, et il est en grande partie créateur du son qui a rendu ce groupe si incontournable.

Il est également l'auteur de plusieurs albums en solo, au succès plus confidentiel mais qui ont une aura de disques-cultes auprès de nombreux fans (je recommande personnellement l'excellent To record only water for ten days).



Dans la vidéo ci-dessus, John se confie sur son rapport personnel au sexe. Voici ses mots:

Je n'y passe vraiment pas beaucoup de temps. Ces derniers temps je n'ai couché avec personne, parce que je n'y prends aucun plaisir. J'ai arrêté d'y prendre plaisir à un moment donné. En ce moment je me concentre à écrire mon album, de temps en temps je fais l'amour si je rencontre quelqu'un qui m'attire, et que je le sens vraiment dans mon corps, ce qui est rarissime pour moi.  
(Il raconte ensuite une histoire un peu longue et sans grand intérêt avec une de ses ex, semble-t-il complètement timbrée...)

Voilà le genre de filles que je rencontre... et voilà pourquoi je ne pratique plus le sexe, parce que je n'ai pas l'énergie de me confronter à ce type de situations, parce que je veux me concentrer à jouer de la musique.
On pourrait bien sûr se demander si cette vidéo n'a pas été tournée un jour où Frusciante était simplement de mauvais poil, en prise de tête avec sa nana de l'époque, et donc prêt à largement exagérer ou déformer la réalité... mais il a confirmé ces propos de nombreuses fois, et de multiples articles font référence à cette idée selon laquelle arrêter le sexe, qui ne l'épanouissait pas, lui a permis de développer ses talents musicaux. Pour preuve ce que l'on peut lire ici:

Pour se concentrer sur la spiritualité et la musique, il a décidé de s'abstenir de toute activité sexuelle. (...) Il a affirmé qu'il arrivait davantage à atteindre le septième ciel en se passant de drogue plutôt qu'en en prenant, la clé pour lui est simplement de se dédier à une activité qu'il aime. Il a également dit être la personne la plus heureuse au monde.  

Nikola Tesla


Nikola Tesla, qui ne baisait pas, n'en a pas moins changé le monde, pour le meilleur.




Cet article de France Culture le présente en ces termes:

Il est l’inventeur du courant alternatif, de l’électricité moderne, certainement des premières ondes radio, de la notion de télécommande et même d’une certaine façon de l’idée du wifi et des armes à énergie dirigées. Savant fou, perclus de TOCs, insomniaque chronique, profond humaniste, il a terminé sa vie ruiné et misérable dans une chambre d’hôtel à New York. Bref, Nikola TESLA a tout du savant maudit et un destin proprement shakespearien.

Selon de nombreuses sources concordantes, Tesla tenait exactement le même genre de discours que John Frusciante: sa chasteté était son meilleur allié pour se concentrer pleinement sur ses réflexions scientifiques et les faire avancer au maximum. Le seul but qu'il poursuivait, obsessionnellement, était de servir, grâce à son savoir, à améliorer les conditions de vie des gens dans le monde. Et c'est donc, peut-être, quelque part, en se désintéressant de la sexualité qu'il y est parvenu.

Trois observations personnelles sur tout cela: 


1) Je peux, à mon humble niveau qui n'est évidemment pas une seule seconde comparable de près ou de loin aux exemples cités ci-dessus, me retrouver dans ce qu'ils disent. Durant le long temps où je me suis pris la tête sur la sexualité, où j'ai essayé de changer et de devenir "S", j'ai eu  l'impression de perdre énormément d'énergie. Lorsque j'ai découvert le concept d'asexualité, que j'ai cessé de m'interroger sur moi-même et que j'ai tout simplement admis que le sexe ne m'intéressait pas, j'ai pu placer ailleurs toute cette énergie... dans mes passions (radio, théâtre, musique...). Je peux dire que j'ai alors beaucoup progressé et réalisé des choses plus intéressantes, qui trouvaient beaucoup plus d'écho auprès des gens.

2) Evidemment, je précise s'il en est besoin qu'il ne s'agit surtout pas là d'une règle générale. Elle est valable pour certains et pas pour d'autres. Je suis même convaincu que pour beaucoup de gens, sans doute même une très écrasante majorité, c'est la règle inverse qui va s'appliquer: une sexualité épanouie va les aider à se transcender. C'est le principe de l'investissement (pas d'argent mais d'énergie, en l'espèce): pour certains, investir dans la sexualité est très rentable, pour d'autres c'est un investissement à perte, et il faut investir ailleurs. Le problème de la société actuelle est peut-être qu'un discours (l'injonction sociale à avoir une vie sexuelle et sentimentale) est martelé, quand l'autre (pas la peine de baiser, ou même de chercher le grand amour, si vous n'en avez pas envie au fond de vous: votre réalisation personnelle est peut-être simplement ailleurs) n'a quasiment aucune place. Peut-être que nous avons perdu à cause de cela de nombreux John Frusciante ou Nikola Tesla, qui ont gaspillé une grande part de leur énergie à se vouloir "normaux", "sexualisés", "sentimentalisés" à tout prix, au détriment du développement d'autres talents...

3) C'est donc peut-être ce qu'il faut répondre à cet internaute que je cite au début de l'article. Non, être ace ne sera pas synonyme du tout d'une vie inintéressante et inutile, certainement pas. L'énergie que vous ne pouvez/voulez pas investir dans la sexualité a simplement vocation à être mieux employée ailleurs... mais c'est à vous de trouver dans quoi.

Kim Deal 


Concluons avec le cas de l'immense Kim Deal, bassiste du groupe-culte The Pixies, qui s'est dite asexuelle également (j'essayerai d'y revenir).



Interrogée sur le fait de ne pas avoir eu d'enfants dans cette interview, voici ce qu'elle répond:

But maybe if I was more organized in my life, maybe I could have done something about it, but you know then I think that maybe I'm too lazy to be a mother.

Elle dit en substance qu'elle n'a jamais été contre, mais que ce n'est simplement pas arrivé. Elle pense en réalité qu'elle aurait été trop flemmarde pour être une mère !

Merci à toi (je la tutoie, oui, je l'écoute depuis si longtemps !) Kim pour avoir dit cela.

La problématique des enfants est la même que celle de la sexualité (normal me direz-vous, les deux sujets sont un peu liés). Faut-il écouter l'injonction sociale, ou se laisser guider par ses envies personnelles ? Combien de gens se sont sentis obligés d'être parents alors que de toute évidence ils n'étaient pas faits pour l'être ? S'imaginer trop flemmard pour bien s'occuper de ses enfants, n'est-ce pas une excellente raison de ne pas en faire ?
Musicalement elle n'a jamais été paresseuse (elle a signé une quinzaine d'albums, avec ses différents groupes, entre les années 80 et aujourd'hui), et ses disques ont suscité la passion de nombreux fans à travers le monde. A-t-elle eu raison elle aussi, comme John Frusciante, de privilégier la musique ?

Chacun son idée. J'ai la mienne. 😄

dimanche 19 avril 2020

Greysexuel ?

L'asexualité est comme toutes les orientations sexuelles, davantage un spectre de couleurs possiblement nuancées qu'un état figé à jamais.

Au même titre que certains hétéros peuvent parfois occasionnellement avoir un petit faible pour une personne de leur sexe, ou certains homos pour une personne du sexe opposé, il est aussi possible pour certains asexuels (pas tous...) d'avoir parfois des envies, dans des circonstances bien précises.

Il y a par exemple le cas des demisexuels qui peuvent exceptionnellement ressentir une attirance envers quelqu'un avec lequel ils ont développé un fort lien affectueux.
Il y a également le cas plus complexe des greysexuels qui peuvent, très rarement, ressentir une attirance sexuelle envers quelqu'un... sans explication particulière.
Bien sûr, même chez un demisexuel ou un greysexuel, le principe général est de ne pas s'intéresser au sexe. Mais cela n'empêche pas quelques exceptions qui peuvent confirmer la règle, ici ou là.
Où est-ce que je me situe dans tout ça ?

Ayant parfois des fantasmes comme je l'ai dit ici, je ne peux sans doute pas me dire asexuel strict sans nuances. D'ailleurs je n'ai pas renoncé totalement à avoir des relations sexuelles un jour. Pour moi, cela n'aurait pas de sens. Pourquoi se fermer à quelque chose par principe et à tout jamais ? Aujourd'hui je n'en ai pas envie, et ne le recherche donc pas, mais qui sait demain ?

Si fantasmes je peux avoir, ils ne sont jamais dus au fait de connaître très intimement quelqu'un. Ils ne naissent pas comme cela. Rayons donc l'option de la demisexualité.

A partir du moment où j'ai au moins une fois dans ma vie ressenti quelque chose s'approchant de l'envie de relations sexuelles avec quelqu'un, sans avoir d'explications claires sur le pourquoi de cette personne et pas une autre, puis-je me considérer greysexuel ? Est-ce cela le principe ? Il semble que oui. Je dois donc l'être.

En effet, comme je le disais dès le premier article de ce blog, il a pu m'arriver, très rarement, peut-être pas d'avoir un désir de sexe au sens propre, mais au moins de pouvoir le concevoir, et de me dire que cela ne me déplairait pas. C'était plus de l'ordre du fantasme que de l'envie pure, comme je l'ai déjà évoqué. J'aimais en rêver à la rigueur, mais je n'avais pas forcément envie de le réaliser. Cela n'a donc rien changé à ma conviction d'être asexuel. Cela a simplement constitué quelques ilôts d'intérêt dans un océan d'indifférence. Mais ces ilôts étaient agréables à arpenter malgré tout !

Je pense évidemment à un exemple précis.

Elle s'appelle E. Je l'ai rencontrée il y a environ 13 ans, au boulot.
L'histoire est étonnante à plusieurs égards.
C'est ma responsable, qui, un après-midi, me dit ceci: "on a recruté une très jolie fille ! Ah, vous allez voir, je ne vous dis que ça !".
J'acquiesce poliment "ah, ben écoutez, c'est cool, tant mieux !" tout en pensant évidemment "ma pauvre, si tu savais...".

Ladite nana fait son arrivée quelques jours plus tard. Elle ne m'inspire au départ absolument rien. Mais les semaines passent... et je me mets à lui trouver un charme spécial. On aurait dit qu'elle avait trouvé des "codes", des attitudes, des mots, pour éveiller une forme de sensualité. Elle ne m'a jamais dragué ni "allumé"... ce n'était que, purement, dans sa façon d'être.
Je me suis aperçu que je pouvais fantasmer en pensant à elle... mais même, chose rarissime, de fantasmer véritablement d'un rapport physique. L'acte sexuel me paraissait, me paraît encore parfois aujourd'hui, mentalement, concevable avec cette personne. Et c'est l'une des très très rares à avoir provoqué cela chez moi.

Elle n'est restée que quelques mois dans ce boulot, avant de partir ailleurs. On ne s'est pas revus depuis... mais on est curieusement restés en contact sur Facebook, et on se donne curieusement de brèves nouvelles de temps en temps.

C'est quand même étonnant.  On ne s'est côtoyés que quelques mois il y a plus de 10 ans. On a juste été des collègues de boulot qui s'entendaient plutôt bien, on n'a jamais été proches ni même vraiment amis, on ne s'est jamais vus en dehors. Mais aujourd'hui encore on continue à échanger parfois.
Je suis même surpris parfois de la confiance qu'elle m'accorde. Il y a quelques jours, j'ai pris de ses nouvelles au début du confinement. Elle a évoqué un travail d'écriture personnel, qu'elle m'a proposé de lire lorsqu'il serait achevé. J'en ai été assez étonné: pourquoi me montrer cela à moi, qui n'ai jamais été proche de quelque façon que ce soit ?

Cette attirance pourrait-elle avoir été réciproque ? Difficile à dire. Je n'en ai aucune idée. A plusieurs reprises, lors d'échanges sur Internet, elle a évoqué la possibilité qu'on se revoie, et l'a même parfois directement proposé. Cela ne s'est jamais fait pour le moment, notamment parce que nous sommes séparés par quelques 900 kilomètres. Je n'ai pas fait non plus beaucoup d'efforts pour que cela se produise. Pourquoi ?

De ce que je connais d'elle (pas grand-chose au fond...) j'ai l'impression qu'on est très différents, avec peu d'intérêts communs, des sensibilités dissemblables sur plein de choses. J'ai un peu de mal à nous imaginer devenir amis.

"Oui, mais justement, l'idée n'est pas de devenir amis, mais de peut-être avoir d'autres types d'activités...", pensez-vous peut-être.
J'en reviens à ce que j'écrivais dans cet article: le fantasme et le désir sont deux choses très différentes, particulièrement pour un A.

Peut-être que je tiens à ce que cela reste ainsi: un fantasme auquel j'aime penser de temps en temps. Peut-être qu'elle n'est rien d'autre, et ne pourra jamais rien être d'autre pour moi.
Mais peut-être que si.  Peut-être que le fait d'être resté de longues années en contact ainsi, sans même s'être jamais vraiment connus, est quand même signe de quelque chose d'atypique, et peut-être que cette relation prendra à l'avenir des formes que je n'imagine pas encore.

A bientôt pour un prochain épisode.

jeudi 16 avril 2020

Asexualité et aromantisme en chansons

Je m'interrogeais ces derniers jours à savoir quelle serait la chanson qui illustrerait le mieux l'asexualité pour moi. Rien ne me venait.
Il y a deux jours, comme une sorte de signe du ciel, je tombe totalement par hasard sur cette chanson inconnue au bataillon, en écoutant l'excellente webradio FIP rock. Je ne sais pas si elle a été écrite consciemment sur ce sujet-là, mais elle en parle en tout cas magnifiquement.

Boygenius - Bite the hand

I can't touch you, I wouldn't if I could
I can't love you how you want me to
(...)
But you want what I can't give to you





La sexualité est beaucoup chantée dans la pop évidemment. Existe-t-il des chansons sur l'asexualité, l'aromantisme ? En voici quelques unes que l'on peut en tout cas lier à ces thèmes...

Ces chansons que l'on peut entendre comme portant sur l'asexualité et l'aromantisme...


Le premier exemple qui me vient, ce sont les Smiths. Morrissey, chanteur du groupe, est d'ailleurs souvent cité parmi les célébrités asexuelles. Il a plusieurs fois évoqué en effet son désintérêt pour la chose, avant de relativiser ses propos et de se dire "attiré par les humains, mais pas par beaucoup".

Peut-être est-ce pour cela que la solitude, l'impossibilité à trouver de l'amour ou même simplement de la chaleur humaine sont au coeur de son oeuvre.
Ce sentiment d'être totalement "à part", "exclu" dans le grand jeu de l'amour, de la séduction et du sexe, qui peut sembler si facile à d'autres, habite toutes ses chansons, de How soon is now à That joke isn't funny anymore, en passant par celle-ci.

The Smiths - I know it's over 

Love is natural and real... 
But not for you my love... not tonight my love




L'amour est naturel et réel... mais pas pour toi. 
Adolescent, ces paroles me hantaient littéralement.

C'est tellement ça ! J'entends partout que le sentiment amoureux est la chose la plus naturelle au monde... eh bien, pas pour moi visiblement !

Les films, les livres, me disent que je pourrais très bien rencontrer l'amour passionnel et charnel ce soir, en allant acheter mes clopes au tabac... Mais moi je sens que non, je sais que non, je vois bien que je suis fait différemment des autres, et cela me donne parfois un sentiment d'isolation du monde. Merci Morrissey de me donner une voix à travers ta musique.

Bien sûr, on pourra me dire qu'il est loin d'être le seul à chanter cela.
Je me souviens de ce film "Tout le monde dit I love you" de Woody Allen (déjà, le titre... ben non, pas moi, désolé !)
Après une rupture sentimentale, les personnages pensent ne plus être capables d'aimer à nouveau et chantent "I'm through with love"...




Mais nous sommes bien dans une comédie romantique, et nous savons qu'ils vont aimer à nouveau avant le mot FIN. La chanson est une forme d'ironie: on sait que celui la chante se trompe.
Chez les Smiths, c'est différent. Il est question de ceux qui vraiment, ont un problème interne avec l'amour. Ceux qui pensent qu'ils ne tomberont pas amoureux... et à qui les faits donnent raison, en quelques sortes !

- Un deuxième exemple qui me vient en tête est celui de la chanteuse de rock Juliana Hatfield. Personnalité atypique, indépendante, elle n'a pas eu peur en interview de se dire vierge à l'âge de 25 ans. On ne sait pas grand-chose de l'orientation sexuelle de Juliana Hatfield et cela ne regarde qu'elle, mais certains des titres de son premier album peuvent trouver un certain écho sur le sujet de l'asexualité...

Juliana Hatfield - For the birds

I don't care for boys or girls,
I'd rather hang around with the birds 





- Troisième exemple, l'immense Aimee Mann, qui chante elle aussi souvent sa difficulté profonde à croire en l'amour. Dans sa chanson Deathly, elle demande à l'un de ses prétendants de la laisser tranquille. Elle semble savoir que la relation est condamnée à l'échec avant même d'avoir commencé, car elle se sent inadaptée, et pense que sa personnalité constituera un problème.

Aimee Mann - Deathly

So don't work your stuff
Because I've got troubles enough
No, don't pick on me
(...)
'Cause I'm just a problem
For you to solve





Cette chanson m'a souvent parlé également.
Ne perds pas ton temps, ça le fera pas: c'est un peu ce que j'ai toujours envie de dire au fond à chaque fois qu'un(e) S semble vouloir dépasser la sphère simplement amicale. J'ai peut-être tort d'ailleurs, car des relations A/S peuvent aussi exister, même si c'est rare...

Dans la pop, il y a aussi d'autres types de chansons... qui peuvent bien sûr présenter celui qui ne baise pas ou celui qui n'est pas amoureux, comme quelqu'un qui "passe à côté de la vie". A l'image des précédentes, ce n'est peut-être pas leur but premier, mais disons qu'on peut les comprendre ainsi.

En réalité, elles sont toutes aussi peu nombreuses que les premières, car globalement les chansons de pop s'intéressent soit à ceux qui baisent, soit à ceux qui a minima ont très envie de baiser. 😅

Les "exclus" du sexe ne passionnent pas plus la pop music que la littérature ou le cinéma, à quelques exceptions près. 

Ces chansons qui semblent suggérer que la sexualité doit être un aspect essentiel de la vie...


La vie par procuration de Jean-Jacques Goldman (dont j'adore beaucoup de chansons, je le précise) est un des rares titres, à ma connaissance, qui parlent d'une femme sans amants. Elle est décrite comme une sorte d'anomalie qui n'a aucun contact, vit recluse et présente des pathologies sociales voire psychologiques, quelqu'un de plus proche de "l'ombre" que de l'être humain.

Jean-Jacques Goldman - La vie par procuration

Des crèmes et des bains
Qui font la peau douce
Mais ça fait bien loin
Que personne ne la touche
Des mois, des années
Sans personne à aimer
Et jour après jour
L'oubli de l'amour




Pour Alain Souchon, dont j'apprécie beaucoup de chansons également, c'est ce qui se trouve "sous les jupes des filles" qui guide la vie et le monde, dans un titre que j'ai toujours trouvé assez déprimant... il est cohérent avec cet autre tube, dans lequel il affirme que "la vie ne vaut rien, mais moi quand je tiens dans mes deux mains éblouies, les jolis petits seins de mon amie, là je dis rien ne vaut la vie !".

Alain Souchon - Sous les jupes des filles 

Elles savent
Que la seule chose qui tourne sur terre
C'est leurs robes légères
On en fait beaucoup
Se pencher tordre son cou
Pour voir l'infortune
À quoi nos vies se résument
Pour voir tout l'orgueil
Toutes les guerres avec les deuils
La mort la beauté
Les chansons d'été
Les rêves






Quant à Lynda Lemay, dans sa chanson Bande de dégonflés, elle exprime carrément - certes avec humour, mais quand même... - une forme de dédain envers les mecs qui ne bandent pas sur commande. Au moins c'est clair !

Lynda Lemay - Bande de dégonflés 

Bien sûr, c'est pas la fin du monde
Mais d'là à dire que c'est pas grave
Qu'ça peut arriver à tout l'monde
Qu'ça rend moins beau et moins brave
Moi, j'aurais quand même objection
À faire mention de courage
Quand c'est fuyant comme un savon
Et que ça fond pendant l'massage




Entendons-nous bien: je ne trouve aucune de ces chansons "offensantes".
Je peux même dire pour certaines d'entre elles que je les aime (celle de Goldman par exemple).

J'en parle simplement parce que ces chansons sont en quelques sortes l'écho de discours et d'images encore présentes dans la société.

Mais je ne les prends aucunement comme des attaques personnelles, et peux les apprécier sur le plan mélodique et au niveau musical.

On a d'ailleurs toujours le choix d'écouter ou ne pas écouter un morceau ! D'autant plus que dans tous les domaines musicaux, asexuels et aromantiques peuvent avoir de bonnes surprises.

Même dans le rap, où il est fréquent de vanter ses nombreuses conquêtes sexuelles dans un langage plus ou moins fleuri, G Eazy et Bebe Rexha proclament à l'inverse leur goût à être seuls dans un titre entêtant, que l'on pourrait vraiment voir comme une ode à l'aromantisme.

G Eazy - Bebe Rexha - Me myself and I 

It's just me, myself and I
Solo ride until I die
'Cause I got me for life
I don't need a hand to hold
Even when the night is cold
I got that fire in my soul






Un Jimmy Somerville de l'asexualité ? 


Pour conclure, j'ai un souvenir très fort d'un reportage vu à la télévision, qui évoquait la perception de l'homosexualité au fil des époques.
Si elle a pu rentrer en partie dans les moeurs, c'est notamment grâce à la musique.
Je me souviens d'un gay, dans ce reportage, disant, avec une lumière intense dans les yeux : "God bless Jimmy Somerville". Pour lui, la popularité de groupes comme Bronski Beat a fait énormément avancer la cause.


Pourrait-il y avoir un jour un chanteur, une chanteuse, un groupe qui porte la thématique de l'asexualité et la fasse mieux comprendre et accepter aux yeux des autres, comme certains musiciens ont pu le faire avec l'homosexualité ?
Le rêve est permis !

A bientôt pour un prochain épisode.

lundi 13 avril 2020

Asexualité et coming-out

Je ne sais pas si je ferai lire ce blog à beaucoup de mes proches. Dans l'immédiat je ne le fais pas, et je ne pense en tout cas pas le faire tout de suite. Je l'ai fait lire à ma soeur, avec qui j'avais déjà abordé tous ces questionnements depuis longtemps. J'en ai parlé hier au téléphone à cet ami S qui m'avait fait découvrir les forums d'asexualité (j'en ai parlé dans un précédent article).  Mais pour ce qui est de le montrer à d'autres membres de ma famille ou à d'autres amis... je ne sais pas. J'écris d'ailleurs sous pseudonyme: Tom Bonner n'est pas mon vrai nom.

Je n'ai aucun problème à le faire lire à des asexuels en le postant sur des forums. Je lis toujours les réactions avec curiosité et grand intérêt, suis très intéressé à savoir si certains pourront se retrouver dans ce que j'écris, si d'autres pourront avoir un autre vécu ou des interrogations différentes, et de confronter nos expériences et ressentis.

C'est spécial quand même... Ces inconnus me connaissent, à certains égards, plus intimement que certaines personnes que je côtoie depuis 15 ans, avec lesquels je n'ai jamais abordé directement tous ces sujets.

Vous qui êtes tombés par hasard sur ce blog, vous êtes évidemment les bienvenus également, ai-je besoin de le préciser !

Pourquoi est-il si difficile pour moi de dire à mes proches: "voilà, je suis asexuel, la sexualité ne m'intéresse pas, ce n'est pas une maladie, ce n'est pas un problème non plus, c'est simplement une orientation comme une autre" ?

Il y a plusieurs raisons à cela.

- Déjà je n'en ai tout simplement pas l'envie. A la plupart de mes amis et connaissances qui m'interrogent, je dis simplement "je me sens bien célibataire, et je fais partie de ces gens qui ont très peu de besoins sexuels, donc tout va bien". Une fois ceci dit, en général on me fiche la paix. Puisque j'ai déjà la paix, je ne vois pas l'intérêt d'en dire plus, et de risquer d'être mal compris !

- ... Car ce risque existe évidemment. L'asexualité est un concept relativement nouveau, difficile à expliquer aux gens.  J'ai ainsi peur d'avoir de nouveau droit à des commentaires du type: "es-tu es sûr que tu n'as pas simplement peur du sexe ?" "es-tu bien certain d'avoir suffisamment essayé ?", toutes ces choses que l'on m'a dites pendant tant d'années, qui n'ont jamais fait évoluer quoi que ce soit, et que l'on ne me dit plus aujourd'hui.

- J'ai peur également d'être toujours renvoyé à cela. "Tu dis ceci parce que tu es asexuel et que tu n'as jamais connu l'amour physique", "tu dis cela mais tu ne peux pas savoir de quoi tu parles véritablement", "tu penses telle chose mais c'est normal, étant asexuel, tu ne peux pas vraiment comprendre...". C'est l'expérience qui parle. Il y a une quinzaine d'années, j'avais eu droit à des réflexions du type: "Ah mais tu n'as jamais été amoureux ? Ok, je comprends mieux pourquoi tu aimes ceci ou cela, et pas ceci ou cela !", comme si mon identité était résumable à cela. Je pense en général être ouvert d'esprit, et je me suis toujours efforcé de ne pas mal prendre les différents commentaires ou questionnements de mon entourage, mais cette phrase fait partie des choses les plus blessantes que j'ai pu entendre.

- Je me demande si plusieurs de mes amis, mêmes parfois proches, ne pourraient pas malgré tout ressentir un sentiment de trahison en lisant ces articles. Comme je le dis plus haut, je leur ai souvent dit que j'avais "très peu de besoins sexuels". Cette affirmation est fausse, puisque je n'ai aucun besoin sexuel. J'ai parfois joué à être normal auprès d'eux, sans avoir l'impression de leur mentir pour autant. Il me suffisait d'extrapoler les petits fantasmes que je pouvais avoir pour leur faire croire que moi aussi, j'avais parfois de réelles envies sexuelles. C'est le jeu social en quelques sortes: chacun peut porter un masque à sa façon pour garder la part de jardin secret qu'il souhaite, même auprès d'amis de longue date. J'ai parfois dit à certains d'entre eux que j'avais déjà eu des relations sexuelles, ce qui est faux... simplement parce que je ne voulais pas être embêté avec ça. Et aussi parce que je ne voulais pas prendre le risque que ce soit répété à d'autres, à qui je n'ai pas envie de le dire. Je sais qu'avec un petit verre dans le nez, il est facile et tentant pour de très nombreuses personnes de se laisser aller au jeu du "ne le répète surtout pas, il m'a demandé de ne rien dire, mais...".

La situation qui est la mienne me convient donc bien: j'ai l'impression d'être vu par la plupart des gens comme quelqu'un qui simplement n'est pas très intéressé par le cul. Certains pensent que j'ai déjà eu des expériences, d'autres pensent que non. Certains pensent que ça viendra, d'autres pensent que non. J'en dis un peu mais pas beaucoup, je fais comprendre que le reste relève de mon intimité pure et simple, et du coup, en général, personne ne me questionne davantage.

L'asexualité est un sujet qui me passionne suffisamment pour avoir envie d'écrire un blog sur le sujet... mais pour ce qui est de mes proches, je préfère choisir au fur et à mesure qui pourra jeter un oeil sur ces réflexions.

A bientôt pour un prochain épisode.

samedi 11 avril 2020

Asexualité et cinéma

Le cinéma fait partie de ce qui me passionne le plus depuis l'enfance. J'adore voir tous types de films, de toutes nationalités, récents ou anciens, de genre ou d'auteur.

Pour évoquer le sexisme ordinaire que l'on trouve dans beaucoup de films, la réalisatrice Céline Sciamma, dans cette interview, dit ceci: "j'ai passé ma vie à aimer des films qui ne m'aimaient pas".

Je dirais les choses autrement pour ma part: j'ai passé ma vie à m'intéresser à des films qui ne s'intéressaient pas à moi.

Car, bien sûr, le sexe est partout au cinéma. Il en est question dans une très écrasante majorité de films. Soit le héros et l'héroïne vont avoir une relation sexuelle, soit le personnage principal va à un moment donné chercher à avoir du sexe, soit il en sera simplement question dans de nombreux dialogues. Cela concerne environ 99% des films.

Cela n'a rien d'absurde évidemment: les gens, dans leur immense majorité, aiment le sexe et le pratiquent. C'est quelque chose d'important pour eux. Le cinéma ne fait que refléter cet état de fait, ni plus ni moins. Mais être cinéphile asexuel est s'exposer, la plupart du temps, à voir pointée cette différence que nous avons avec l'essentiel de la société. Pour moi, ce n'est pas grave, je l'accepte.

Il existe peut-être quelques films ayant directement et frontalement traité le sujet de l'asexualité. Pour ma part je n'en ai jamais vu aucun.

Je vais donc évoquer simplement ici quelques films qui montrent des personnages semblant peu ou pas intéressés par la sexualité, même si cette asexualité supposée n'est jamais le sujet à part entière de l'oeuvre. Ces films m'ont, personnellement, fait du bien lorsque je les ai vus.




Sexe, mensonge et vidéo - Steven Soderbergh - 1989

J'ai vu ce film à 17 ans, à un moment où de nombreuses questions se posaient dans ma tête. C'était l'une des premières fois que je voyais un personnage (celui d'Ann, incarné par Andie McDowell) affirmer ouvertement dans un film ne pas prendre beaucoup de plaisir au sexe, n'être pas vraiment attirée par la chose. Et c'était en tout cas la première fois, sans aucun doute, que je voyais un personnage dire quelque chose de cet ordre, sans que cela n'ait l'air d'être un ressort comique ou de stigmatisation du personnage en question. Dans Sexe, mensonge et vidéo, Ann n'est pas privée de tout désir (elle est probablement ce que l'on pourrait appeler une graysexuelle), et elle semble d'ailleurs retrouver une vie sexuelle à la fin du film. Mais il était important pour moi de voir, à cet âge-là, que le cinéma pouvait aussi montrer cette réalité là: celle de gens pour qui le plaisir de la sexualité n'est pas un implicite, un point de départ établi.




Le silence des agneaux - Jonathan Demme - 1991

Vous êtes sans doute nombreux à avoir vu ce formidable thriller. Clarice Starling (Jodie Foster) enquête sur un tueur en série nommé Buffalo Bill et, pour cela, doit s'entretenir avec un psychiatre cannibale enfermé en prison, Hannibal Lecter. Clarice est-elle asexuelle ? Il me semble en tout cas que le film la montre comme désintéressée de la sexualité. Elle a bien une forme de relation de séduction avec Hannibal Lecter... mais qui semble avant tout intellectuelle.  Les seuls problèmes qui se posent pour elle sont: parviendra-t-elle à arrêter Buffalo Bill, ce dangereux tueur en série ? Parviendra-t-elle à faire taire ces agneaux qui crient dans sa tête suite à un traumatisme d'enfance ? Elle n'a personne dans sa vie et ce n'est un problème pour elle à aucun moment. De combien de films peut-on dire cela du personnage principal ?

J'étais donc heureux d'avoir donc vu ces films à l'adolescence... mais il me manquait cependant quand même un personnage masculin. J'y arrive.




Junior Bonner, le dernier bagarreur - Sam Peckinpah - 1972

Junior Bonner, c'est Steve McQueen, qui vadrouille de ville en ville pour faire du rodéo. Réussira-t-il à monter Sunshine, taureau particulièrement agressif ? Pourra-t-il ainsi gagner assez d'argent pour aider ses parents, qui sont dans le besoin ?
Naviguant entre le western, le drame et la comédie, ce film magnifique et mélancolique gagne vraiment à être découvert. Mais il a en plus une particularité étonnante.

Dans le rang des spectateurs de rodéo, Junior a une fan, magnifique, nommée Charmagne. Elle le dévore des yeux. Durant tout le film, on se dit qu'une histoire d'amour (ou au moins de sexe) va naître entre eux, que c'est inévitable, que nous sommes dans un film américain classique et que tous les spectateurs attendent cela. Sauf que cela n'arrive pas. Junior et elle flirtent un peu, platoniquement... Et à la fin du film, il repart simplement de son côté sur la route, faire du rodéo. Pourquoi cette histoire d'amour suggérée ne se produit jamais ? Je n'arrive pas à trouver d'autre explication que celle-ci: "il s'en fout". Cela ne l'intéresse pas. Il n'est visiblement pas à l'aise dans le domaine et cela ne semble pas le préoccuper.
Détail amusant: le vrai prénom de Junior dans ce film est... Ace ! Qui sera des années plus tard un terme employé pour évoquer justement une personne asexuelle. Le grand Sam Peckinpah aurait-il anticipé dès 1972 le concept de l'asexualité ?!




Into the wild - Sean Penn - 2008

Pour ce qui concerne tous les personnages précédemment abordés, je ne serais pas en mesure d'affirmer qu'ils sont asexuels. Ils ne montrent pas d'attrait franc pour la sexualité pendant les 2 heures où le spectateur les suit, c'est suffisamment rarissime au cinéma pour être noté (et faire du bien à un spectateur asexuel et/ou aromantique !), mais rien n'est sûr au fond quant à l'orientation de ces personnages.
Pour ce qui est de Christopher McCandless (magnifiquement incarné par Emile Hirsch) dans Into the wild, la question ne se pose plus vraiment. Refusant toutes les occasions qu'il a de flirter, il est objectivement caractérisé par sa recherche d'une liberté absolue, unique possibilité d'épanouissement pour lui, incompatible avec la simple idée d'envisager une relation autre qu'amicale avec quelqu'un. Je me rappelle avoir été extrêmement touché par ce film, que je n'ai cependant pas revu depuis sa sortie.



Le cas Richard Jewell - Clint Eastwood - 2019

Ce film de Clint Eastwood raconte l'histoire authentique de Richard Jewell, agent de sécurité américain qui déjoua un attentat dans un parc à Atlanta dans les années 90... avant d'être soupçonné, injustement, d'être l'auteur de ce même attentat.
Tel qu'il est monté dans le film, Richard Jewell a pour seul et unique intérêt dans la vie d'agir pour la sécurité de son pays, l'Amérique. C'est sa seule obsession, et il en néglige tout le reste, notamment la vie sociale et amoureuse (il vit chez sa mère).

Ce qui est intéressant à l'égard de notre sujet, c'est que le film montre que c'est - entre autres - cela qui a été considéré comme suspect chez lui.

Pour les policiers qui enquêtent sur l'attentat, la réflexion peut se résumer ainsi: "ce type est étrange, à son âge, il est célibataire, obèse, peu sociable, son unique obsession est de réussir dans le domaine de la sécurité, il a eu dans le passé de mauvaises expériences professionnelles , il vit encore chez sa mère... aurait-il voulu attirer l'attention sur lui, en posant d'abord une bombe, et en apparaissant ensuite comme le sauveur ? Est-il une sorte de pompier pyromane ?".

Alors même qu'il a objectivement agi en héros, Richard Jewell ne ressemble pas du tout à l'image classique du héros: séducteur, beau, "sexualisé", avec une vie telle que la société traditionnelle l'attend. Cela fait partie de ce qui va jouer contre lui, le faire considérer à tort comme un imposteur, et lui faire subir un harcèlement judiciaire épouvantable.

Même si à aucun moment du scénario Richard Jewell ne manifeste d'intérêt pour la sexualité, il n'est cependant pas possible d'affirmer qu'il est asexuel.

Cependant, le film parle très bien de ces préjugés et de cette suspicion qui peuvent entourer ceux dont les objectifs profonds sont détachés des schémas dits "normaux".

Ce "qu'est-ce qui ne va pas chez lui ?" qu'ont pu un jour ou l'autre connaître tous les asexuels va - en partie - être au coeur de l'éveil des soupçons contre Richard Jewell.

Les faits relatés datent de 1996. Espérons que les choses aient évolué depuis !

Voici pour conclure quelques autres films dont je me suis dit que le personnage principal était possiblement asexuel...

La fille inconnue -Jean-Pierre et Luc Dardenne (2016)

Le seigneur des anneaux - Peter Jackson (2001)

Les mondes de Ralph - Rich Moore (2012)

La reine des neiges - Jennifer Lee, Chris Buck (2013)

N'hésitez pas à compléter cette liste en commentaire...

Et à bientôt pour un prochain épisode.

mercredi 8 avril 2020

Asexualité et fantasmes

Nous, asexuels, n'avons pas envie de relations sexuelles avec d'autres personnes. Et pourtant... nous sommes nombreux à pouvoir dire que nous avons malgré tout des fantasmes.

C'est probablement la chose la plus difficile à faire comprendre à tous ceux qui ont une sexualité plus "classique", "normale".
Pourquoi ne pas avoir de vie sexuelle effective si on en peut en avoir une dans notre tête, et donc a fortiori en solitaire ?
Si nous sommes capables d'avoir des fantasmes, ne nous suffit-il pas de les réaliser, tout simplement ? Qu'est-ce qui nous en empêche ?

Ces questions en posent, en réalité, une beaucoup large, presque philosophique:

Un fantasme a-t-il vocation à toujours être réalisé ?

Vous avez 4 heures.

Je vais essayer de modestement apporter ma réponse personnelle à cette question.

1) Alors... non. Le fantasme est quelque chose de si complexe et si intime qu'il n'y a à mon avis aucun sens à dire qu'il doit se réaliser nécessairement. A titre personnel, la plupart des fantasmes d'ordre sexuel que je peux avoir sont tout simplement... irréalisables. Je vous prends un exemple très concret. Il peut m'arriver occasionnellement de fantasmer en pensant à des couples que j'ai rencontrés. La tension sexuelle que je vais sentir entre cet homme et cette femme (ou cet homme et cet homme, cette femme et cette femme) qui sont venus sur mon lieu de travail, ou que j'ai croisés dans un lieu public (ça ne concerne jamais les couples que je côtoie régulièrement et que je connais bien) pourra être source de fantasme chez moi.
Un jour avec des amis, nous parlions justement de nos fantasmes. J'ai évoqué cela. Ils m'ont dit, en rigolant, que j'avais peut-être un petit côté "voyeur". Sauf que... dans le fantasme que j'imagine, je ne suis absolument pas voyeur. Je ne suis simplement... pas là, pas présent dans la scène ! Comment réaliser un fantasme pareil ?  C'est tout simplement impossible. C'est un fantasme qui a vocation à n'être qu'un fantasme.

2) Dans l'immense et sublime "Supplique pour être enterré sur la plage de Sète", le grand Georges Brassens chante ceci:
Et c'est là que jadis, à quinze ans révolus, 
A l'âge où s'amuser tout seul ne suffit plus, 
Je connus la prime amourette. 
Eh bien cette phrase, je n'arrive pas à la comprendre véritablement. Je la comprends intellectuellement, mais pas sensoriellement. Pour un asexuel, s'amuser tout seul suffit très largement. Le peu de fantasmes que nous pouvons avoir (pour ceux d'entre nous qui en ont) n'est jamais envahissant, jamais une source de frustration, et peut donc être entièrement et totalement comblé par... nous-mêmes.

3) Je me souviens d'une conversation avec une amie à propos de l'orientation sexuelle. Elle s'est toujours considérée hétéro, mais a du mal à trouver un homme dans sa vie. Elle s'interroge parfois sur le fait de savoir si elle ne serait pas homosexuelle. Pourtant, chaque fois qu'elle se questionne sur le sujet, elle finit par aboutir à la conclusion qu'elle est bien "straight". Voici, en substance, ce qu'elle me dit.

"Il m'est arrivé de fantasmer sur des femmes, mais je n'ai jamais franchi le pas. Et alors même que l'idée ne me dégoûte pas et que je ne pense pas avoir de blocage psychologique, je serais incapable de le faire. Parce que mentalement je ne peux pas me projeter avec une femme au-delà du simple fantasme. Alors que j'en suis capable avec un homme. C'est cela, je pense, qui fait de moi une personne hétérosexuelle".

En substance, elle affirme donc que ce qui est excitant dans son monde fantasmatique ne le sera pas forcément dans le monde réel. Ce qu'elle dit là peut parfaitement s'appliquer à l'asexualité également.
Elle peut avoir plaisir à fantasmer parfois sur des femmes, mais ce fantasme n'a jamais assez suffisamment grandi pour se transformer en envie, en désir.

Là se trouve peut-être la clé des choses, dans ce qui différencie le fantasme du désir.

Je peux, par exemple, fantasmer de devenir très riche. Aimer rêver de ce que je ferais si je gagnais des millions. Mais dans les faits, un revenu plus modeste pourra combler tous mes besoins, ma vie dans une classe moyenne pourra très bien me convenir, et je ne chercherai donc pas à progresser socialement coûte que coûte.

Le fantasme peut se suffire parfaitement à lui-même. Le désir, lui, demande à être comblé.

A bientôt pour un prochain épisode.

mardi 7 avril 2020

Asexualité et réactions de l'entourage au fil du temps

J'ai envie ici de m'intéresser aux différentes réactions de mon entourage vis-à-vis de mon absence totale de vie sexuelle, et vis-à-vis de mon célibat perpétuel. Ces phrases que je vais citer m'ont parfois été dites par des amis, parfois par de simples connaissances, parfois encore par des très proches du cercle familial.

L'idée n'est absolument pas de stigmatiser ou de montrer du doigt leur intolérance, surtout pas. C'est plus simplement de faire comprendre les questions qui se posent aux gens qui ont un asexuel dans leur entourage, les incompréhensions (bien naturelles) que cela peut susciter.
Les réactions ont toujours été diverses et variées. Il y a toujours eu, à toute époque, des gens pour me dire de simplement suivre mes envies, et d'autres pour me dire que je devais changer, ne pas me résigner à être une sorte d'anorexique sexuel.

Mais suivant les âges et les périodes, certains type de réactions ont malgré tout été majoritaires. Il faut donc prendre ce qui suit comme un résumé simplifié. La réalité a toujours été plus complexe, et les discussions plus nuancées.

Voici, en gros, la chronologie de ce que j'ai pu entendre. :

18 ans : 

"Tu es encore vierge, ah oui ? Tu attends sans doute d'être vraiment amoureux pour coucher. Ca change de la plupart des mecs qui n'ont que ça en tête ! Tu es probablement plus sensible et romantique que d'autres."

20 ans : 

"Bon, va falloir te bouger quand même, là. Tu as des ouvertures avec X et Y, tente ! Tu as dit que tu trouvais Z pas mal, tente ! Rien ne pourra t'arriver si tu ne fais aucun effort ! Quant à ce manque de désir que tu évoques, ce n'est qu'une excuse que tu te donnes pour ne rien faire."

22 ans : 

"Vierge ? A ton âge ? Mais comment c'est possible ?? Tu remplaces ça par quoi ?? Tu vas pas me dire que tu remplaces ça par le cinéma et la musique quand même ??"

25 ans : 

Je n'ai plus de phrases précises en tête. Je me souviens d'avoir évoqué le sujet avec des connaissances et d'avoir suscité parfois de simples regards interloqués suivis de ricanements. Cela m'est arrivé très rarement parce que j'en parlais peu, et de moins en moins... mais cela m'est arrivé. C'est le moment où j'ai sans doute reçu le moins d'empathie sur le sujet. Dans la tête des gens, ce n'était juste pas normal du tout d'être ainsi, et cela ne pouvait venir que d'un problème à régler.

28 ans : 

L'incompréhension commence à se muter en questions.

"Que tu ne te sentes pas bien en couple, cela peut se comprendre, certains sont faits pour vivre seuls. Mais n'avoir jamais de relations sexuelles... Peut-on vraiment vivre comme cela ?... Sans jamais serrer un corps contre soi ?"

"Tu as pensé à aller voir une prostituée ?"

Le discours évolue véritablement une fois que j'ai passé 30 ans. Mon entourage réalise peu à peu que si je n'ai vraiment aucun intérêt envers la sexualité, il n'y a pas beaucoup de sens à me pousser à la pratiquer.

31 ans : 

"Pourquoi avoir refusé de passer la nuit avec I. qui te l'a proposé ouvertement l'autre soir ? C'est dingue quand même, tu t'en fous vraiment en fait !..."

33 ans : 

"Clairement tu n'es pas intéressé, et il n'y a aucune autre raison à ton absence de vie sexuelle. Moi, chaque fois que j'ai été avec une nana, tout s'est fait très naturellement, les premiers baisers, le passage à des pratiques sexuelles... Il n'y a eu aucun travail à faire sur moi-même pour parvenir à cela. Toi visiblement ça ne te dit pas. Il faut sans doute l'assumer."

35 ans : 

"En fait, j'admire ton courage, d'avoir un mode de vie différent de celui de la plupart des gens. Et tu ne connais pas ta chance. Le sexe est quelque chose d'esclavagisant. Je sais que si j'en suis privé, cela va être une prise de tête, un souci à résoudre. Le fait de ne pas avoir ce problème là à gérer te confère une vraie liberté".

"Moi je n'ai jamais vécu seul, j'aimerais tellement pouvoir y parvenir ! Tu échappes aussi à ce qu'on est nombreux à connaître, les séparations, les divorces...".

Depuis :

On ne m'en parle en général plus. Tout le monde semble avoir admis que j'étais comme ça et qu'il n'y avait rien à y faire.

Trois observations sur tout cela: 

-Sur le fait de ne pas connaître séparations et divorces, je précise à nouveau que je n'ai pas renoncé à l'idée d'avoir un jour une relation romantique, sans sexe, avec un(e) autre asexuel(le). Donc, rien ne dit que je n'y goûterai pas à l'avenir !

-Le discours des gens a beaucoup évolué avec le temps. La compréhension et l'acceptation s'est faite petit à petit. Peut-être qu' à 20 ans ils avaient l'espoir de pouvoir me changer, et que passé 35 ans ils ont réalisé que ce serait considérablement plus compliqué. Mais leurs réactions ont également évolué en même temps que mon rapport personnel à l'asexualité. Plus je l'acceptais moi-même, plus je trouvais les mots pour l'expliquer aux autres, et plus les autres pouvaient eux aussi l'accepter. Je déteste parler comme un bouquin de développement personnel... mais disons qu'en changeant soi-même de regard sur soi, on change aussi le regard des autres sur soi.

-J'ai un peu tout entendu sur le sujet: que c'était de la lâcheté et que c'était du courage, que c'était un choix libre et que ça venait d'un traumatisme que je devais guérir, que c'était une malédiction et que c'était une chance.
Dans les yeux de certains proches, parfois les mêmes, je me suis vu tour à tour comme le pire des nerds puceaux à deux doigts de faire une attaque de panique dès qu'une femme s'approche de lui, et comme un grand résistant insubordonné à une société qui impose le sexe comme un devoir, le couple comme un horizon obligatoire. Après avoir été Cyprien, ce personnage de geek total incarné par Elie Semoun, me voici en quelques sortes devenu Jean Moulin ! 😂

Je me suis parfois senti humilié ou flatté par tout ça... en sachant évidemment que ces images ne correspondaient absolument pas à la réalité.

Parce que la vérité est mille fois plus simple: ce n'est ni lâche ni courageux... je n'ai juste pas le choix. Je n'ai pas, je n'ai jamais eu envie de baiser et suis absolument incapable de me forcer à le faire. Vous voyez que dès lors... les options sont quand même très réduites.

 A bientôt pour un prochain épisode

dimanche 5 avril 2020

Rencontrer d'autres asexuels

Lorsque je découvre tous les sites consacrés à l'asexualité (AVEN, Acitizen, KeLove...), je commence donc par lire les forums avec attention. Je suis très frappé par la diversité des profils des intervenants. Certains n'ont jamais eu d'aventures sexuelles. D'autres ont multiplié les expériences avant de réaliser qu'elles ne trouvaient pas de plaisir dans la sexualité, quel que soit le ou la partenaire. Certains n'ont jamais eu de fantasmes, n'ont jamais recouru au plaisir solitaire. D'autres à l'inverse peuvent avoir une sexualité en solo. Certains sont dégoûtés à l'idée même de faire un bisou, voire de serrer une main. D'autres font parfois l'amour, et n'ont pas de problème à le faire, mais n'ont simplement pas goût à cela.  Certains ont subi dans leur histoire des abus sexuels, et c'est ce qui explique leur refus de pratiquer le sexe aujourd'hui. D'autres semblent à l'inverse ne jamais avoir connu d'événements qui aurait pu "créer" cela chez eux.

Je lis aussi des histoires de couple.
Certains "A" (asexuels) sont parfois en relation avec des "S" (personnes à la sexualité classique). Il est rare que de telles histoires puissent fonctionner, mais cela existe. Parfois des asexuels se mettent en couple ensemble, et c'est bien sûr une facilité de pouvoir se comprendre mutuellement, et de pouvoir vivre une histoire sans que cette question de la sexualité ne vienne poser problème.

Ce qui rapproche tous ces gens est le fait d'éprouver un désintérêt pour le sexe, mais les histoires personnelles sont aussi nombreuses que variées, passionnantes à lire, et à suivre.
Je participe à des fils de discussions sur plusieurs forums, en racontant mon histoire personnelle et en réagissant à celles des autres. J'ai des conversations souvent très enrichissantes. Je lis un jour que certains membres d'un site se retrouvent un après-midi. La rencontre est ouverte. Je décide de me joindre à eux.

Je rencontre des gens très sympathiques, agréables, ouverts d'esprit, avec lesquels je passe un bon moment en parlant de tout un tas de sujets. A vrai dire, on parle de tout sauf d'asexualité, et c'est parfait ainsi.

Malgré tout, en les quittant, je ne suis pas sûr d'avoir envie de retourner tout de suite à l'une de ces réunions.

J'ai pourtant rencontré plein de mes meilleurs amis ainsi. Nous nous sommes connus sur Internet en abordant des passions communes, comme le cinéma ou la musique. Puis nous avons franchi le mur numérique pour nous fixer rendez-vous dans ce que l'on peut appeler "la vraie vie". La complicité virtuelle s'est ainsi confirmée, et l'amitié "réelle" est née. Ici rien ne diffère. Pourquoi ne pas essayer de mieux connaître ces gens ? Je suis bien sûr moi-même étonné de ma réaction, car je voulais justement me lier à des gens avec qui je pourrais évoquer des choses liées à l'asexualité sans avoir peur d'être jugé ou mal compris

Peut-être que ce qui me met mal à l'aise est cette idée d'être rassemblés autour d'un désintérêt. Ce qui nous rapproche, ce qui nous unit, c'est le fait de ne pas être concernés par le sexe. Ce n'est pas une passion mais une indifférence commune qui nous fait nous retrouver.

Je revois cet ami S qui m'avait orienté il y a quelques mois vers les sites évoquant l'asexualité. Je le remercie tout d'abord de m'en avoir parlé, je lui dis qu'effectivement je me retrouve parfaitement dans tout cela, que j'ai même rencontré des gens, mais que je ne suis pas certain de retourner les voir.

Je lui explique que j'ai l'habitude de fréquenter des gens autour de passions qui nous rassemblent, telles que le théâtre, la musique ou le bénévolat associatif.
Là... ce qui nous réunit, c'est à l'inverse une activité que tous on ne pratique pas ! Il y a quelque chose pour moi de déstabilisant là-dedans.

"Oui, enfin..." me répond-t-il, "Ce n'est pas spécifique à l'asexualité. On pourrait aussi dire que ce qui rassemble une communauté de pacifistes, c'est de ne pas faire la guerre !"
Pourquoi pas tiens. Le fameux slogan "faites l'amour pas la guerre" pourrait ainsi devenir "ne faites ni l'amour ni la guerre" !

Il faut sans doute que je prenne le temps de déjà connaître certains membres des forums un peu plus personnellement, au lieu de me joindre à un groupe de personnes avec lesquelles je n'ai pas encore échangé. En fonction des affinités créées, j'aurai sûrement envie d'en rencontrer certains. Peut-être aussi, et surtout, qu'en réalité, je n'ai pas un besoin immédiat de revoir ces gens, car ce qu'ils m'ont apporté est déjà extrêmement précieux. Grâce à eux, je ne me sens plus seul dans ma tête. Je peux assumer d'être comme je suis sans avoir le sentiment d'être une anomalie absolue.

7 ans après la première rencontre, je n'ai jamais eu l'impulsion d'y retourner.
Je reviens sur ces forums aujourd'hui épisodiquement. Je n'y suis pas très assidu, ma participation est peu fournie. Je me connecte dans des moments de blues, lorsque j'ai l'impression que cette particularité de l'asexualité m'isole trop, me fait sentir trop en marge du monde. Je participe à quelques échanges, qui me donnent l'impression de ne pas être seul à être seul. Lorsque le moral s'améliore, je peux ne plus y revenir pendant des mois, parce que tout simplement tout ce qui est lié de près ou de loin au sexe et à l'amour disparaît totalement de mon esprit.

Les rencontres que j'espérais ne se sont pas pour le moment produites, mais qui sait ce que l'avenir réserve ?

Il y a deux mois, en février, je me connecte sur l'un de ces forums. Je vois que j'ai reçu un message privé d'une membre, en août dernier. Ne m'étant pas reconnecté depuis longtemps je ne m'en étais pas aperçu jusqu'à présent. Cette membre dit qu'elle a aimé mon profil et m'envoie un lien de musique classique. J'écoute et apprécie. Je regarde son profil, que je trouve drôle, très bien écrit. Je m'en sens proche à pas mal d'égards.
Où étais-je à la date de réception de ce message ? J'étais à l'époque en vacances à la mer, très loin de tout.
Belle occasion manquée... J'aurais vraiment aimé que nous puissions entamer une correspondance. Je lui réponds malgré tout, très tardivement. Elle est probablement passée à autre chose. Est-ce que cela a un sens de réagir 6 mois plus tard ?
Depuis je me connecte régulièrement sur le site pour voir s'il y a une réponse. Elle n'est pas encore arrivée.

Il faudrait probablement moi aussi que je regarde si des profils m'intéressent, au lieu d'avoir une attitude passive.

A bientôt pour un prochain épisode.

jeudi 2 avril 2020

10 raisons pour lesquelles je me suis toujours senti mal en couple

J'ouvre une parenthèse, avant de reprendre le récit.

Une proche qui a lu le blog me demande de préciser ce qu'est avoir une attirance non-sexuelle, une simple "inclinaison amoureuse" sans désir, envers quelqu'un. J'ai un mal fou à le lui expliquer. En gros, je peux être troublé par quelqu'un, attiré par cette personne... mais sans avoir envie de faire l'amour avec elle.

Pour cette proche, le désir est justement quelque chose qui monte très lentement, qui se construit avec la personne avec qui on est en couple. Cela commence par de petites attentions physiques, avant de monter petit à petit en désir sexuel. Saurais-je expliquer précisément en quoi cela diffère chez moi ? Suis-je en fait bien certain que cela diffère chez moi ? Je ne sais que lui répondre, à part que chez moi ça ne monte pas en désir sexuel... Simplement pas.

Mais derrière cette question, je devine (et/ou m'interroge moi-même) sur celle-ci: ai-je vraiment pris le temps que cela puisse monter ? Est-ce que si j'étais resté plus que quelques jours ou quelques semaines avec les filles avec qui j'ai été, ce serait venu ? Est-ce que j'aurais pu construire cela ? Je ne le saurai jamais, car j'ai cassé moi-même ces relations très rapidement.

Ce qui m'amène à une question suivante: qu'est-ce qui fait que je me suis senti mal à l'aise au point de devoir casser ces relations si rapidement ? Pourquoi je n'ai pas attendu un peu ? Je n'avais pourtant rien à reprocher à ces personnes avec lesquelles j'étais. Encore très récemment, un ami me l'avait demandé, en substance: "tenir un peu plus, prendre le temps d'explorer vraiment tes sensations, c'était vraiment au-dessus de tes forces ??"

Je ne sais pas si cela répondra aux questions de cette proche, je ne sais pas si c'est ce que je vais écrire correspond à ce qu'elle voulait vraiment savoir, mais cela m'a donné envie d'ouvrir cette parenthèse pour me pencher sur ces questions.

Comme tout geek qui se respecte, j'aime raisonner en tops 10. 

Voici donc la liste des 10 choses qui font que je suis si mal à l'aise en entamant une relation de couple que j'arrête toujours au bout d'un temps très court. J'essayerai au passage d'expliquer à cette proche en quoi je me sens différent de ce qu'elle décrit, sur le plan sexuel.

1) Les personnes avec qui je sors me plaisent un peu au départ. Voilà ce que j'appelle "inclinaison". Je peux imaginer avoir du plaisir en les embrassant par exemple. Je n'ai jamais de forte envie physique d'elles - je ne sais pas ce qu'est avoir une forte envie physique de quelqu'un. Dans les livres que je lis ou films que je vois, les personnages qui meurent littéralement de désir pour d'autres, sont obsédés par ces personnes au point d'en perdre l'appétit, le goût de tout, est quelque chose que je ne comprends littéralement pas. Je n'ai aucune idée de ce que ressentent ces gens, je suis incapable de me le représenter. Je ne le jugerai jamais, et je peux évidemment ressentir intellectuellement de l'empathie, mais émotionnellement cela m'échappe totalement. Mais j'en reviens là: ces personnes avec lesquelles je sors me plaisent un peu quand même. Pourtant, dès que je commence à les embrasser, je ne ressens plus rien, aucun plaisir. Ce qui doit être le coup d'envoi marque en fait un coup d'arrêt. Les préliminaires à l'amour n'ont jamais été pour moi une promesse de quelque chose de plus grand, de plus fort. Elles ont toujours été pour moi les préliminaires de l'envie de tout stopper. Qu'est-ce que je fais là ? Pourquoi on doit passer des heures à se faire des bisous alors que moi j'aurais juste envie de parler, comme entre amis ? J'ai ressenti cela avec toutes. Je ne suis peut-être pas tombé sur les bonnes, me direz-vous. Peut-être qu'il faudrait que je retente avec d'autres, en essayer une dizaine, repasser par ces moments de fort malaise que je vis très mal, avant d'en trouver une onzième avec laquelle le désir pourrait tout d'un coup se réveiller... mais le sexe n'est-il pas censé être un besoin naturel ? Pour en avoir parlé avec tous mes amis hommes, je sais que pour eux le désir est depuis toujours un préalable. Ils ont envie de baiser depuis leurs 13 ans. La question ne se pose pas. Ce qui est difficile, sacrément difficile, c'est de trouver quelqu'un qui accepte de le faire avec eux. C'est une grande souffrance pour beaucoup d'entre eux. Ils cherchent désespérément quelqu'un qui va combler ce désir, mais ne le trouvent souvent pas. Quand ils le trouvent, parfois ils en tombent amoureux. Et il faut alors faire marcher la relation, ce qui est à nouveau un très gros challenge, plein d'embûches, plein d'obstacles, plein de difficultés, plein de compromis à trouver. Mais moi, même le préalable, l'envie de baiser, ce simple préalable évident et établi chez tous mes amis hommes depuis leur puberté, devrait me demander un gigantesque boulot sur moi-même alors ? Je ne suis pas sorti de l'auberge, dites donc...

2) C'est bien "une"proche qui m'a interpellé sur tout cela. Est-ce que le désir naît différemment chez les femmes ? Il se dit que oui, même si c'est probablement un cliché. Selon une idée reçue, un homme a envie de coucher avec un nombre immense de femmes, mais la femme, elle, choisit son partenaire, et construit petit à petit une confiance avec lui qui va lui donner envie d'aller plus loin. Ce "modèle" a longtemps prévalu dans les têtes... et prévaut sans doute encore. Le fait de ne pas correspondre du tout à ce "modèle" a pu jouer dans ce malaise que j'ai ressenti très vite en couple, j'en conviens.

3) J'ai malgré tout l'impression qu'en couple, l'immense majorité des gens ont au moins besoin de se sentir désirés physiquement... Cela n'a rien à voir avec la pratique du sexe en soi. Certains adorent faire l'amour, d'autres moins. Mais il y a peut-être une constante malgré tout, qui est ce besoin de sentir désirables. Lorsque je démarre une relation, je vois bien que je ne peux pas donner cela à une femme. Après les premiers bisous, je perds tout le (faible) désir que je pouvais avoir envers elles. Je ne peux pas leur faire comprendre que j'ai envie d'elles physiquement... parce que simplement ce n'est pas vrai (je n'ai quasiment pas essayé avec des hommes, mais j'ai encore moins d'inclinaisons et d'attractions envers eux en règle générale). J'ai l'impression, en début de relation, d'être en quelques sortes un imposteur qui va être très vite découvert. Un type qui commence un contrat en disant qu'il sait parler espagnol, alors qu'il ne sait pas parler espagnol. "Mais je ne comprends pas, M. Dubois, si vous avez accepté ce poste c'est que vous saviez parler espagnol, pourquoi l'avoir pris si vous ne saviez pas ? Ca n'a aucun sens !". "Mais je ne comprends pas M. Bonner, si vous avez démarré une relation avec moi, c'est que vous aviez envie de faire l'amour avec moi, que vous me désiriez physiquement, que je pouvais me sentir belle, désirée, en votre compagnie ? Pourquoi avoir même commencé si ce n'était pas le cas ? Ca n'a aucun sens !". Tête penaude de l'imposteur découvert: "oui... mais... enfin... je veux dire... non, parce que... c'est plus compliqué que ça !..."

Allons voir au-delà de la question sexuelle, maintenant...

4) Je ne supporte pas de savoir que l'autre attend un coup de téléphone de moi, attend une date de rendez-vous, attend que je l'appelle pour le voir, se demande "pourquoi il ne m'appelle pas ? Pourquoi ne répond-t-il pas à mon SMS ? Pourquoi like-t-il des contenus sur Facebook et pas les miens ? ". Je ne veux pas qu'on se prenne la tête sur moi, qu'on analyse mes réactions. C'est quelque chose qui m'est assez insupportable. Je me sens, bêtement, enchaîné, surveillé, plus libre de mes faits et gestes. Et pourtant les personnes avec lesquelles j'avais démarré des relations étaient loin d'être des personnes envahissantes et toxiques ! Non, cela venait de moi et moi seul. Est-ce que je me projette trop dans la tête de l'autre au lieu de me projeter dans la mienne ? Est-ce que cela vient de mes relations avec ma mère, qui a souvent été très culpabilisante ? Peut-être... mais c'est comme ça. En amitié, les choses sont bien sûr totalement différentes. On n'est pas cette personne unique, spéciale, sur laquelle l'autre concentre son attention. On est un ami parmi d'autres. Ce type de relations est beaucoup plus aisées pour moi.

5) Le plus grand bonheur de ma vie a d'ailleurs été d'emménager seul, de quitter mes parents. L'idée de bonheur est dans ma tête pas mal associée à ça, à ce sentiment là: l'indépendance.

6) Chaque fois que l'histoire de couple se termine, je ressens une profonde libération. Je suis de nouveau seul. Que c'est bon !

7) Si l'idée d'avoir un partenaire de vie me manque parfois, c'est toujours quand je vais mal. Dès que je recommence à aller bien, cela disparaît de ma tête. C'est quelque chose qui peut parler à beaucoup de monde, je crois... tout le monde passe par des moments où il se sent seul, et par d'autres où il se réalise dans la liberté que permet cette solitude. Mais j'ai le sentiment que l'envie d'être en couple ne disparaît jamais totalement chez la plupart des gens, même quand ils sont célibataires et contents de l'être. C'est toujours quand même quelque part, dans un coin de leur tête... Chez moi, quand je vais bien, ce n'est plus nulle part dans ma tête. J'ai donc ce sentiment que le manque de partenaire que je ressens est en quelques sortes une tromperie: quand je me sens mal, ce n'est peut-être pas cela au fond que je cherche...

8) Je ne suis sans doute pas patient du tout de façon générale. Si un film ne m'intéresse pas au bout de 30 minutes, je quitte la salle. Dès qu'un livre commence à m'ennuyer je l'arrête. Dès que je m'ennuie un peu à une soirée je pars. Je n'arrive pas à me forcer, c'est très compliqué. J'ai ressenti la même chose dans ces débuts d'histoires. Pourtant, il y a plein de gens avec lesquels je me sens tout de suite à l'aise en amitié, plein de villes où je me sens tout de suite bien, plein de films et de livres qui m'accrochent dès le départ et que j'arrive donc à finir. Pourquoi cela ne s'est jamais produit en amour ? Peut-être parce que ce n'est pas ce que je cherche, encore une fois.

9) Est-ce qu'il y aurait aussi une part d'orgueil dans tout ça ? Une forme de fierté à être différent,  à tracer un "autre chemin", à pouvoir dire "moi je ne suis pas comme les autres, je n'ai pas besoin de l'amour ?". Peut-être en partie, je ne sais pas. Je crois quand même que ça va plus loin que ça. J'ai toujours été révolté par le fait que des gens soient montrés du doigt parce qu'ils étaient seuls, célibataires. L'amour c'est comme tout: certains sont très doués en la matière, d'autres un peu moins, d'autres pas vraiment, d'autres enfin pas du tout. En amour, certains sont riches, d'autres sont pauvres. On lit souvent que celui qui ne connaît pas l'amour ne vit qu'à moitié. L'amour serait un peu comme la Rolex: si tu l'as pas (ou pas connu) à 50 ans, t'as raté ta vie. C'est ce qui, lit-on, entend-t-on, procure le bonheur ultime dans l'existence. Quelle cruauté... certains ont la chance de le connaître plusieurs fois dans leur vie, d'autres ont la chance de le connaître une fois, d'autres ne le connaissent pas. On a tous des gens autour de nous qui semblent cruellement sous-doués en la matière. Et qui doivent en plus de cette souffrance lire partout qu'ils ne sont pas à 100% "dans la vie". Cela me semble tellement injuste et surtout tellement faux... A ceux qui disent cela, j'ai toujours envie de répondre ceci: moi, j'ai beau être seul, désolé, je vous promets que je respire, que je vis ! L'amitié, mes passions pour mon métier, pour le cinéma, pour la musique, pour le théâtre, pour l'engagement associatif, me comblent totalement ! A l'inverse, certaines personnes en couple me paraissent enfermées dans une routine qui ne les satisfait pas, et me donnent justement l'impression justement de ne pas vivre pleinement ! Et si l'amour et l'intensité de vie n'étaient donc en vérité pas automatiquement connectés ? Et si certains étaient faits pour se réaliser dans la relation amoureuse, d'autres pour se réaliser dans complètement autre chose ? C'est ce qu'il m'a toujours semblé... et l'exemple que j'ai toujours eu envie de donner.

10) Mais je ne souhaite pas pour autant renoncer totalement au fait de trouver un(e) partenaire de vie un jour, avec qui partager les hauts et les bas de l'existence. Cela ne m'a jamais vraiment manqué... mais c'est peut-être quelque chose que j'aimerais connaître, expérimenter une fois, pour savoir ce que j'en pense vraiment. Et j'en reviens quand même au point de départ:  ce qui me fait fuir de toutes ces relations à peine entamées, c'est peut-être quand même surtout l'idée que l'autre va tôt ou tard me demander du sexe. Que ce sera un passage "obligé", la preuve que je l'aime vraiment. Et le sexe ne m'intéresse tellement pas... pourquoi faut-il que le sexe soit tellement lié à l'amour ? C'est un tel mystère pour moi... Je peux avoir parfois des formes de fantasmes envers des gens dont je n'ai absolument rien à foutre, voire même que je n'aime pas, et ressentir une profonde tendresse, une profonde affection, envers des gens vis-à-vis desquels je ne pourrais même pas imaginer de fantasmer une seule seconde... Quel rapport entre les deux ?... C'est tellement déconnecté complètement dans ma tête... ce sont deux galaxies tellement distinctes, qui n'ont tellement aucun pont entre elles...

Je ferme cette parenthèse et en reviens à mon récit: lorsque je découvre les forums d'asexualité, je vois que peut-être il serait possible d'envisager des relations avec des gens capables de me comprendre totalement... relations amicales ou plus, je ne sais pas, je n'en ai encore aucune idée. Je suis certain d'être asexuel, mais je ne pourrais pas encore affirmer avec certitude que je suis aromantique (non désireux de bâtir une relation romantique avec quelqu'un). Cela ouvre en tout cas de nouvelles perspectives.

A bientôt pour un prochain épisode.

mercredi 1 avril 2020

Découverte du concept d'asexualité

La découverte du concept d'"asexualité" est quelque chose qui, en mettant enfin un mot sur une particularité mystérieuse ressentie depuis toujours, a complètement bouleversé ma vie. Et pourtant... il m'a fallu du temps pour m'y intéresser enfin véritablement.

J'entends parler d'asexualité pour la première fois à la trentaine.
Un reportage à la télévision m'apprend qu'un américain d'une vingtaine d'années nommé David Jay a fondé une communauté nommée AVEN, qui regroupe des gens qui ont en commun de se dire totalement désintéressés par le sexe. Dans le sillage, de nombreux groupes se sont formés, et plusieurs sites différents sont apparus pour en parler.
 Et... je ne suis pas tout de suite intéressé par le phénomène.

Cela me paraît très étrange rétrospectivement. Que s'est-il passé ? J'étais totalement seul face à toutes ces interrogations dans ma tête. Je me sentais totalement "anormal", en marge du monde. Hormis parfois quelques personnages dans des romans ou films qui semblaient également indifférents à la chose (je pense consacrer un article sur le sujet prochainement...), PERSONNE ne semblait partager cette anomalie qui était la mienne. Et là tout d'un coup, j'apprends l'existence de cette communauté de gens, et je ne cherche même pas tout de suite à en savoir plus !
Comment s'expliquer ça, des années plus tard ?

Rétrospectivement, je pense à deux facteurs.

-Au moment où j'entends parler de cela, ma psychanalyse n'est pas encore achevée, et je me considère encore en quelques sortes comme un malade, un grand traumatisé, qu'il faut guérir. Je prends petit à petit conscience que ce manque de désir semble très difficile à changer, qu'il fait peut-être partie de mon identité, mais je garde l'espoir de devenir "normal", comme tous mes amis, comme tous les gens qui m'entourent. Je n'ai pas encore renoncé à ce rêve de me réveiller un jour en ayant envie de baiser comme tout le monde, de sortir draguer dans les bars, de coucher avec quelqu'un le samedi soir, de pouvoir enfin connaître ces sensations dont tout le monde parle et qui me sont inconnues... Et je crois que je perçois donc (à tort !) les membres de ces communautés qui revendiquent l'asexualité, à cette époque, un peu comme des démissionnaires, des gens qui ont renoncé à livrer le combat que je mène. J'ai tellement intégré qu'il n'était pas possible d'être vraiment indifférent au sexe, que cela venait forcément d'un "problème" interne, que je ne prends pas au sérieux ces gens qui affirment le contraire. Ce sont les dégâts du conditionnement mental.

-Le reportage télévisé que je vois me semble montrer que ces gens ressentent de la fierté à être asexuels et à le proclamer (encore une fois je me trompe complètement, mais c'est le ressenti que j'en ai à cette époque là). Or, moi, non seulement je ne me résous pas encore à ce moment-là à laisser tomber complètement la sexualité, mais j'ai en plus un mal fou avec tout ce qui est de l'ordre du militantisme, du communautarisme, de la fierté identitaire. Cela n'a JAMAIS fait partie de mon logiciel.
Est-ce que le reportage télévisé dépeignait vraiment les choses ainsi, ou est-ce simplement la façon dont je l'ai compris à l'époque ? Je ne saurais le dire. Mais c'est ma vision à ce moment-là. Elle changera totalement quelques années plus tard, mais ne brûlons pas les étapes.

En 2010, je perds mon emploi dans le Sud et ma psychanalyse s'achève.
En 2011, je reviens habiter à Paris, ma région d'origine.
Plaisir de revoir mes anciens amis mais aussi difficultés de retrouver une vie plus stressée, plus bruyante, avec moins de temps pour soi, et mes parents plus à proximité.
Je trouve du travail dans une radio, dans laquelle je vais m'éclater professionnellement comme jamais.

Cela fait alors plusieurs années qu'il ne se passe absolument rien de rien au niveau sentimental, et que je le vis parfaitement bien. Curieusement, durant la saison 2012-2013, plusieurs événements vont se produire.  Il est étonnant de constater comme, sur une certaine période, une suite de choses peuvent arriver dans un domaine précis, comme si la vie essayait clairement de nous faire comprendre quelque chose.

Fin 2012 donc une collègue de travail me fait une drague ouverte. Je ne suis pas très attiré par elle... mais sa maladresse a quelque chose d'attirant. Et certaines choses qu'elle me dit sont touchantes.  On flirte pendant quelques semaines. Je me sens toujours aussi mal en couple, aussi privé de liberté. Cette fille n'est pourtant pas spécialement envahissante, non, cela vient de moi. Et je n'ai pas non plus de désir physique. J'aimerais beaucoup l'avoir comme simple amie, mais je ne prends absolument aucun plaisir à être en relation avec elle. Bon. Je peux au moins me rendre compte que rien n'a évolué à ce niveau (je n'avais pas eu de simple flirt depuis plus de 10 ans).

Pourtant à la même période, je reprends contact, sur les réseaux sociaux, avec une nana que j'avais croisé 6 années plus tôt lors de mes études.
Je ressens à son égard une forme d'"inclinaison amoureuse" qui se manifeste d'une façon que j'ai déjà connue: j'aime penser à elle, sans éprouver de désir sexuel au sens propre. On se revoit. On part même quelques jours en vacances ensemble, en compagnie d'une autre amie. L'entente entre les deux filles est absolument calamiteuse. On rentre tous chez nous avant même la fin prévue originellement pour le séjour. L'expérience a été tellement désastreuse que je n'ai pas très envie de revoir cette fille au retour. Je préfère continuer à échanger un peu avec elle sur Internet... en simples amis. 

Alors que je vivais parfaitement bien depuis des années sans jamais penser aux relations amoureuses, ces deux aventures avortées avant même d'avoir commencé remettent le sujet sur la table. Elles me rappellent à quel point ce qui paraît si naturel pour beaucoup de gens semble impossible pour moi.

Je sais d'ailleurs que ce n'est en réalité pas si naturel pour beaucoup de gens. Trouver l'amour est compliqué pour tout le monde, j'en ai bien conscience lorsque j'en parle avec mes amis ou des proches. Même en étant "normal", avec une libido "ordinaire", des inclinaisons amoureuses "classiques", il est extrêmement compliqué de trouver quelqu'un et de faire fonctionner une relation. Mais j'ai le sentiment que pour moi, avec ces particularités qui sont les miennes, c'est quasiment mission impossible.

Et alors, puisque tu t'en fous ? Me direz-vous. Eh bien... ce n'est pas si simple.

J'ai maintenant plus de 30 ans. L'immense majorité de mes amis sont mariés avec des enfants. Il devient compliqué de les voir. Je ressens parfois de la solitude.
Même si je n'aime pas me fermer par principe à quelque chose, je peux tout à fait envisager l'idée de ne jamais baiser de ma vie. Mais il m'est en revanche difficile de renoncer totalement à avoir un partenaire de vie, quelqu'un qui compte vraiment, avec lequel envisager l'avenir.
Je voudrais juste que cela puisse être totalement déconnecté du sexe ! Je voudrais pouvoir démarrer une relation avec quelqu'un sans savoir que lorsque je vais parler de mon désintérêt pour le sexe, cette personne va froncer les sourcils en se disant "allons bon, sur quel mec bizarre je suis encore tombée". Je voudrais pouvoir commencer une relation sans me dire qu'à un moment la personne va me demander ça, que ce sera très important, et que je ne pourrai pas le lui donner.

L'idéal serait en fait, tout simplement, de rencontrer quelqu'un qui soit comme moi. Avec une personne qui saurait à quoi s'en tenir dès le départ, qui l'accepterait totalement, avec laquelle les choses seraient claires tout de suite, avec laquelle je serais sûr que "ça" ne poserait pas problème... quelque chose serait peut-être envisageable ? Je pourrais peut-être démarrer une relation sans ressentir cet envahissement, cette perte de liberté, qui sont possiblement en partie la conséquence de ce sentiment que tout est condamné à l'échec dès le départ ?

Même au niveau amical, ce serait bien de connaître des gens qui me ressemblent, avec lesquels échanger sur tout cela... j'ai tellement passé ma vie à me sentir différent des gens autour de moi. Qu'est-ce que cela fait de parler avec quelqu'un qui connaît exactement ces mêmes problématiques ? Je n'en ai aucune idée.

Un soir de déprime, je parle de tout cela avec un ami parisien de très longue date. C'est lui qui va me reparler des communautés d'asexuels. Il a lu un article récemment sur le sujet, et m'invite à m'y intéresser.

Je n'y avais plus pensé depuis tout ce temps.
Je n'en ai que très peu entendu parler, lui dis-je. J'ai simplement vu il y a des années un reportage télévisé qui m'en a donné un a priori pas très favorable... Est-ce que ces gens ne sont pas des militants anti-sexe, est-ce qu'ils ne revendiquent pas fièrement une forme de pudibonderie ? Sont-ils fiers de se retrouver autour de l'idée qu'ils sont "au-dessus" du sexe ? Si c'est tout cela, très peu pour moi.

"Pas du tout", me détrompe-t-il. "Ce sont des gens comme toi, qui simplement n'ont pas goût au sexe, chez qui il n'y a aucun communautarisme malsain, qui communiquent entre eux notamment pour ne pas subir cette solitude et cet isolement que tu décris. Il faut que tu t'intéresses à eux, que tu les rencontres même, pourquoi pas".

Rétrospectivement, cette conversation a quelque chose d'un peu surréaliste.
C'est cet ami, marié avec des enfants, qui a toujours eu une activité sexuelle importante, qui défend les asexuels. Et c'est moi, asexuel depuis toujours, qui porte un propos rempli de clichés et de raccourcis suspicieux à leur propos.

Je rentre chez moi. Je tape "asexualité" sur un moteur de recherche et suis rapidement orienté vers des forums de discussion remplis de témoignages. Ce que je découvre va complètement bouleverser ma vie...
Tout ce qu'écrivent et décrivent ces gens est ce que je ressens en moi depuis toujours sans pouvoir le faire comprendre aux autres.
Le simple fait de ne pas avoir d'envies sexuelles, sans qu'il n'y ait obligatoirement de rejet du sexe en tant que tel. Ce sentiment d'habiter un autre monde, une autre galaxie. Les lourdes remises en question personnelles. Les questionnements obsédants: suis-je condamné à la solitude ? Comment rencontrer un partenaire de vie qui puisse comprendre cette particularité ?
Nous sommes donc plusieurs extraterrestres ! Le fait d'avoir enfin des gens à qui en parler, des témoignages à lire, le fait de pouvoir mettre un mot sur ce que l'on ressent depuis plus de 30 ans comme une anomalie est profondément libérateur. M'ouvre aussi l'espoir de pouvoir faire de nouveaux types de rencontres.

A bientôt pour un prochain épisode.