samedi 11 avril 2020

Asexualité et cinéma

Le cinéma fait partie de ce qui me passionne le plus depuis l'enfance. J'adore voir tous types de films, de toutes nationalités, récents ou anciens, de genre ou d'auteur.

Pour évoquer le sexisme ordinaire que l'on trouve dans beaucoup de films, la réalisatrice Céline Sciamma, dans cette interview, dit ceci: "j'ai passé ma vie à aimer des films qui ne m'aimaient pas".

Je dirais les choses autrement pour ma part: j'ai passé ma vie à m'intéresser à des films qui ne s'intéressaient pas à moi.

Car, bien sûr, le sexe est partout au cinéma. Il en est question dans une très écrasante majorité de films. Soit le héros et l'héroïne vont avoir une relation sexuelle, soit le personnage principal va à un moment donné chercher à avoir du sexe, soit il en sera simplement question dans de nombreux dialogues. Cela concerne environ 99% des films.

Cela n'a rien d'absurde évidemment: les gens, dans leur immense majorité, aiment le sexe et le pratiquent. C'est quelque chose d'important pour eux. Le cinéma ne fait que refléter cet état de fait, ni plus ni moins. Mais être cinéphile asexuel est s'exposer, la plupart du temps, à voir pointée cette différence que nous avons avec l'essentiel de la société. Pour moi, ce n'est pas grave, je l'accepte.

Il existe peut-être quelques films ayant directement et frontalement traité le sujet de l'asexualité. Pour ma part je n'en ai jamais vu aucun.

Je vais donc évoquer simplement ici quelques films qui montrent des personnages semblant peu ou pas intéressés par la sexualité, même si cette asexualité supposée n'est jamais le sujet à part entière de l'oeuvre. Ces films m'ont, personnellement, fait du bien lorsque je les ai vus.




Sexe, mensonge et vidéo - Steven Soderbergh - 1989

J'ai vu ce film à 17 ans, à un moment où de nombreuses questions se posaient dans ma tête. C'était l'une des premières fois que je voyais un personnage (celui d'Ann, incarné par Andie McDowell) affirmer ouvertement dans un film ne pas prendre beaucoup de plaisir au sexe, n'être pas vraiment attirée par la chose. Et c'était en tout cas la première fois, sans aucun doute, que je voyais un personnage dire quelque chose de cet ordre, sans que cela n'ait l'air d'être un ressort comique ou de stigmatisation du personnage en question. Dans Sexe, mensonge et vidéo, Ann n'est pas privée de tout désir (elle est probablement ce que l'on pourrait appeler une graysexuelle), et elle semble d'ailleurs retrouver une vie sexuelle à la fin du film. Mais il était important pour moi de voir, à cet âge-là, que le cinéma pouvait aussi montrer cette réalité là: celle de gens pour qui le plaisir de la sexualité n'est pas un implicite, un point de départ établi.




Le silence des agneaux - Jonathan Demme - 1991

Vous êtes sans doute nombreux à avoir vu ce formidable thriller. Clarice Starling (Jodie Foster) enquête sur un tueur en série nommé Buffalo Bill et, pour cela, doit s'entretenir avec un psychiatre cannibale enfermé en prison, Hannibal Lecter. Clarice est-elle asexuelle ? Il me semble en tout cas que le film la montre comme désintéressée de la sexualité. Elle a bien une forme de relation de séduction avec Hannibal Lecter... mais qui semble avant tout intellectuelle.  Les seuls problèmes qui se posent pour elle sont: parviendra-t-elle à arrêter Buffalo Bill, ce dangereux tueur en série ? Parviendra-t-elle à faire taire ces agneaux qui crient dans sa tête suite à un traumatisme d'enfance ? Elle n'a personne dans sa vie et ce n'est un problème pour elle à aucun moment. De combien de films peut-on dire cela du personnage principal ?

J'étais donc heureux d'avoir donc vu ces films à l'adolescence... mais il me manquait cependant quand même un personnage masculin. J'y arrive.




Junior Bonner, le dernier bagarreur - Sam Peckinpah - 1972

Junior Bonner, c'est Steve McQueen, qui vadrouille de ville en ville pour faire du rodéo. Réussira-t-il à monter Sunshine, taureau particulièrement agressif ? Pourra-t-il ainsi gagner assez d'argent pour aider ses parents, qui sont dans le besoin ?
Naviguant entre le western, le drame et la comédie, ce film magnifique et mélancolique gagne vraiment à être découvert. Mais il a en plus une particularité étonnante.

Dans le rang des spectateurs de rodéo, Junior a une fan, magnifique, nommée Charmagne. Elle le dévore des yeux. Durant tout le film, on se dit qu'une histoire d'amour (ou au moins de sexe) va naître entre eux, que c'est inévitable, que nous sommes dans un film américain classique et que tous les spectateurs attendent cela. Sauf que cela n'arrive pas. Junior et elle flirtent un peu, platoniquement... Et à la fin du film, il repart simplement de son côté sur la route, faire du rodéo. Pourquoi cette histoire d'amour suggérée ne se produit jamais ? Je n'arrive pas à trouver d'autre explication que celle-ci: "il s'en fout". Cela ne l'intéresse pas. Il n'est visiblement pas à l'aise dans le domaine et cela ne semble pas le préoccuper.
Détail amusant: le vrai prénom de Junior dans ce film est... Ace ! Qui sera des années plus tard un terme employé pour évoquer justement une personne asexuelle. Le grand Sam Peckinpah aurait-il anticipé dès 1972 le concept de l'asexualité ?!




Into the wild - Sean Penn - 2008

Pour ce qui concerne tous les personnages précédemment abordés, je ne serais pas en mesure d'affirmer qu'ils sont asexuels. Ils ne montrent pas d'attrait franc pour la sexualité pendant les 2 heures où le spectateur les suit, c'est suffisamment rarissime au cinéma pour être noté (et faire du bien à un spectateur asexuel et/ou aromantique !), mais rien n'est sûr au fond quant à l'orientation de ces personnages.
Pour ce qui est de Christopher McCandless (magnifiquement incarné par Emile Hirsch) dans Into the wild, la question ne se pose plus vraiment. Refusant toutes les occasions qu'il a de flirter, il est objectivement caractérisé par sa recherche d'une liberté absolue, unique possibilité d'épanouissement pour lui, incompatible avec la simple idée d'envisager une relation autre qu'amicale avec quelqu'un. Je me rappelle avoir été extrêmement touché par ce film, que je n'ai cependant pas revu depuis sa sortie.



Le cas Richard Jewell - Clint Eastwood - 2019

Ce film de Clint Eastwood raconte l'histoire authentique de Richard Jewell, agent de sécurité américain qui déjoua un attentat dans un parc à Atlanta dans les années 90... avant d'être soupçonné, injustement, d'être l'auteur de ce même attentat.
Tel qu'il est monté dans le film, Richard Jewell a pour seul et unique intérêt dans la vie d'agir pour la sécurité de son pays, l'Amérique. C'est sa seule obsession, et il en néglige tout le reste, notamment la vie sociale et amoureuse (il vit chez sa mère).

Ce qui est intéressant à l'égard de notre sujet, c'est que le film montre que c'est - entre autres - cela qui a été considéré comme suspect chez lui.

Pour les policiers qui enquêtent sur l'attentat, la réflexion peut se résumer ainsi: "ce type est étrange, à son âge, il est célibataire, obèse, peu sociable, son unique obsession est de réussir dans le domaine de la sécurité, il a eu dans le passé de mauvaises expériences professionnelles , il vit encore chez sa mère... aurait-il voulu attirer l'attention sur lui, en posant d'abord une bombe, et en apparaissant ensuite comme le sauveur ? Est-il une sorte de pompier pyromane ?".

Alors même qu'il a objectivement agi en héros, Richard Jewell ne ressemble pas du tout à l'image classique du héros: séducteur, beau, "sexualisé", avec une vie telle que la société traditionnelle l'attend. Cela fait partie de ce qui va jouer contre lui, le faire considérer à tort comme un imposteur, et lui faire subir un harcèlement judiciaire épouvantable.

Même si à aucun moment du scénario Richard Jewell ne manifeste d'intérêt pour la sexualité, il n'est cependant pas possible d'affirmer qu'il est asexuel.

Cependant, le film parle très bien de ces préjugés et de cette suspicion qui peuvent entourer ceux dont les objectifs profonds sont détachés des schémas dits "normaux".

Ce "qu'est-ce qui ne va pas chez lui ?" qu'ont pu un jour ou l'autre connaître tous les asexuels va - en partie - être au coeur de l'éveil des soupçons contre Richard Jewell.

Les faits relatés datent de 1996. Espérons que les choses aient évolué depuis !

Voici pour conclure quelques autres films dont je me suis dit que le personnage principal était possiblement asexuel...

La fille inconnue -Jean-Pierre et Luc Dardenne (2016)

Le seigneur des anneaux - Peter Jackson (2001)

Les mondes de Ralph - Rich Moore (2012)

La reine des neiges - Jennifer Lee, Chris Buck (2013)

N'hésitez pas à compléter cette liste en commentaire...

Et à bientôt pour un prochain épisode.

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