mercredi 8 avril 2020

Asexualité et fantasmes

Nous, asexuels, n'avons pas envie de relations sexuelles avec d'autres personnes. Et pourtant... nous sommes nombreux à pouvoir dire que nous avons malgré tout des fantasmes.

C'est probablement la chose la plus difficile à faire comprendre à tous ceux qui ont une sexualité plus "classique", "normale".
Pourquoi ne pas avoir de vie sexuelle effective si on en peut en avoir une dans notre tête, et donc a fortiori en solitaire ?
Si nous sommes capables d'avoir des fantasmes, ne nous suffit-il pas de les réaliser, tout simplement ? Qu'est-ce qui nous en empêche ?

Ces questions en posent, en réalité, une beaucoup large, presque philosophique:

Un fantasme a-t-il vocation à toujours être réalisé ?

Vous avez 4 heures.

Je vais essayer de modestement apporter ma réponse personnelle à cette question.

1) Alors... non. Le fantasme est quelque chose de si complexe et si intime qu'il n'y a à mon avis aucun sens à dire qu'il doit se réaliser nécessairement. A titre personnel, la plupart des fantasmes d'ordre sexuel que je peux avoir sont tout simplement... irréalisables. Je vous prends un exemple très concret. Il peut m'arriver occasionnellement de fantasmer en pensant à des couples que j'ai rencontrés. La tension sexuelle que je vais sentir entre cet homme et cette femme (ou cet homme et cet homme, cette femme et cette femme) qui sont venus sur mon lieu de travail, ou que j'ai croisés dans un lieu public (ça ne concerne jamais les couples que je côtoie régulièrement et que je connais bien) pourra être source de fantasme chez moi.
Un jour avec des amis, nous parlions justement de nos fantasmes. J'ai évoqué cela. Ils m'ont dit, en rigolant, que j'avais peut-être un petit côté "voyeur". Sauf que... dans le fantasme que j'imagine, je ne suis absolument pas voyeur. Je ne suis simplement... pas là, pas présent dans la scène ! Comment réaliser un fantasme pareil ?  C'est tout simplement impossible. C'est un fantasme qui a vocation à n'être qu'un fantasme.

2) Dans l'immense et sublime "Supplique pour être enterré sur la plage de Sète", le grand Georges Brassens chante ceci:
Et c'est là que jadis, à quinze ans révolus, 
A l'âge où s'amuser tout seul ne suffit plus, 
Je connus la prime amourette. 
Eh bien cette phrase, je n'arrive pas à la comprendre véritablement. Je la comprends intellectuellement, mais pas sensoriellement. Pour un asexuel, s'amuser tout seul suffit très largement. Le peu de fantasmes que nous pouvons avoir (pour ceux d'entre nous qui en ont) n'est jamais envahissant, jamais une source de frustration, et peut donc être entièrement et totalement comblé par... nous-mêmes.

3) Je me souviens d'une conversation avec une amie à propos de l'orientation sexuelle. Elle s'est toujours considérée hétéro, mais a du mal à trouver un homme dans sa vie. Elle s'interroge parfois sur le fait de savoir si elle ne serait pas homosexuelle. Pourtant, chaque fois qu'elle se questionne sur le sujet, elle finit par aboutir à la conclusion qu'elle est bien "straight". Voici, en substance, ce qu'elle me dit.

"Il m'est arrivé de fantasmer sur des femmes, mais je n'ai jamais franchi le pas. Et alors même que l'idée ne me dégoûte pas et que je ne pense pas avoir de blocage psychologique, je serais incapable de le faire. Parce que mentalement je ne peux pas me projeter avec une femme au-delà du simple fantasme. Alors que j'en suis capable avec un homme. C'est cela, je pense, qui fait de moi une personne hétérosexuelle".

En substance, elle affirme donc que ce qui est excitant dans son monde fantasmatique ne le sera pas forcément dans le monde réel. Ce qu'elle dit là peut parfaitement s'appliquer à l'asexualité également.
Elle peut avoir plaisir à fantasmer parfois sur des femmes, mais ce fantasme n'a jamais assez suffisamment grandi pour se transformer en envie, en désir.

Là se trouve peut-être la clé des choses, dans ce qui différencie le fantasme du désir.

Je peux, par exemple, fantasmer de devenir très riche. Aimer rêver de ce que je ferais si je gagnais des millions. Mais dans les faits, un revenu plus modeste pourra combler tous mes besoins, ma vie dans une classe moyenne pourra très bien me convenir, et je ne chercherai donc pas à progresser socialement coûte que coûte.

Le fantasme peut se suffire parfaitement à lui-même. Le désir, lui, demande à être comblé.

A bientôt pour un prochain épisode.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire