vendredi 27 mars 2020

L'asexualité à l'adolescence

Je vais essayer, dans plusieurs articles ici, de détailler les différents moments charnière de mon rapport à l'asexualité, depuis la découverte jusqu'à l'acceptation de celle-ci, en passant par les essais (infructueux) pour essayer de me changer moi-même, de devenir "normal" en quelques sortes.

Commençons par l'adolescence.

C'est l'âge auquel tout le monde découvre ce qu'est l'attirance sexuelle, et en parle sans arrêt.
Je peux moi-même, à cette époque (et même avant déjà) avoir parfois des fantasmes, des stimulations sexuelles. Pourtant, l'idée de coucher avec quelqu'un ne me procure absolument aucune émotion, n'éveille aucun intérêt chez moi.

Autour de moi, tous mes amis se mettent à parler de leur désir d'avoir des relations sexuelles. Je réalise vite que je ne suis pas du tout sur la même longueur d'onde qu'eux.

J'ai ce souvenir marquant, qui date de l'année 1994. J'ai alors 15 ans, et je suis à une soirée organisée par un ami - si vous êtes de cette génération vous vous rappelez qu'à l'époque on appelait cela une "boum".

L'organisateur de la soirée déclare à propos d'une de nos camarades (absente ce jour-là) la phrase suivante : "elle, j'aimerais lui mettre une bite dans le cul !" (sic). En l'entendant, je suis un peu interloqué. Pas du tout par la vulgarité de la phrase. Non, je ne comprends simplement pas POURQUOI il dit ça... Qu'est-ce que cela peut donc procurer comme plaisir de faire ça ?... Je ne vois pas du tout. En quoi peut-il être excitant de faire ce qu'il a dit, là ? Je ne comprends pas.

Mes amis de l'époque regardent bien sûr parfois, comme tous les ados, des films pornos, en groupe. Il m'arrive d'en voir un avec eux parfois. Cela ne me fait absolument aucun effet. Rien. Pas de dégoût, encore une fois: si ces gens à l'écran s'éclatent à faire ce qu'ils font, très bien, tant mieux pour eux ! Mais je ne comprends pas de quoi il s'agit. Moi je m'éclate à aller au cinéma, à faire de la musique, jouer de la guitare, à nager, à voir mes amis. Eux s'éclatent à faire ça visiblement. Chacun son truc.

Dans plein de livres que je lis, on parle de la sexualité comme de la pulsion humaine ultime. Les personnages recherchent le sexe comme le Saint Graal. Ceux qui ne le pratiquent pas en souffrent.
Je découvre également la pensée de Freud. Ce que j'en comprends et en retiens à l'époque, c'est plus ou moins ceci: tout s'explique par les pulsions sexuelles. Ah bon. Tout. Rien que ça. D'accord. Au moins c'est simple...

Je me retrouve, à vrai dire, perdu dans un monde sans aucun sens. Pour vous donner une idée de ce que je peux ressentir à cette époque (et parfois encore aujourd'hui...) imaginez que tout le monde autour de vous dise: "le plus grand plaisir de la vie c'est de se verser du sel sur la main, on ne peut pas y échapper, tout le monde ressent ça !!!". Vous, vous êtes là: "hein ?... ben non, pas du tout."...

Pour filer la métaphore, imaginez que vos amis regardent des films le premier samedi du mois sur Canal Plus avec des gens qui se versent du sel sur la main et deviennent fous d'excitation, hurlent des cris de plaisir.
Régulièrement, dans les films que vous voyez au cinéma, séries que vous regardez à la télé, ou livres que vous lisez, le personnage est désespéré parce qu'il n'a pas de sel à se verser sur la main. A la fin du film, il réussit enfin à trouver une salière et à s'en verser, et tout s'éclaircit pour lui. Hop, générique de fin, musique joyeuse. Ouf, on a frôlé la catastrophe ! Voilà ce que je ressens à l'époque par rapport à tout ce monde autour de moi qui évoque la sexualité comme la jouissance absolue. Une totale incompréhension.
Auprès de mes amis je fais semblant d'être normal. Je ne parle à personne de toutes ces interrogations dans ma tête. Comme je suis plutôt du genre discret, à peu m'épancher, ils ne me trouvent pas étrange.

Pourtant, à cette époque là, il m'arrive d'être attiré par des camarades de classe. Je peux même dire que j'ai envers certaines d'entre elles, parfois, quelque chose qui ressemble à de l'attraction amoureuse. Mais je n'ai pas pour autant le désir de relations sexuelles... Imaginer faire l'amour avec elles ne me procure aucune émotion. Je m'interroge bien sûr au sujet de mon orientation sexuelle, mais je constate que mes camarades masculins n'éveillent pas davantage de désir (et encore moins d'"inclinaison amoureuse").

J'ai un premier flirt à l'âge de 17 ans, qui ne dure pas très longtemps. Nous nous entendons bien, et elle me plaît physiquement. Mais je n'ai aucune envie que ça aille au-delà de bisous bisous.

Même le bisous bisous, à vrai dire, ne me procure que peu d'émotions. Je suis beaucoup plus à l'aise avec elle en ami que dans le contact physique. L'histoire se termine très vite.

Pourquoi suis-je comme cela, si différent des autres ? Je me pose mille questions. Personne au monde ne semble être comme moi. Le sexe ne semble provoquer que des réactions extrêmes. Pour certains adolescents, c'est un but, un rêve, une obsession, qu'ils évoquent les yeux brillants et le regard empli d'attente envers cette promesse d'absolu qu'ils ne connaissent, pour la plupart, pas encore. Pour d'autres, plus rares, c'est un répulsif, un sujet tabou, dont ils parlent avec une moue de rejet et de honte. Moi, simplement, je m'en fous...

J'en parle à une psychologue, que je vais consulter au départ pour un autre motif. Elle réagit avec beaucoup de bienveillance.

"Tout ne se fait pas en 5 minutes... me dit-elle
-C'est-à-dire ?
-Il faut du temps pour que le corps accède à l'érotisme. Du temps pour connaître son rapport personnel à ce sujet-là. Cela peut prendre des années. Ce que tu racontes n'a rien d'anormal à ton âge.
-Je ne sais pas... je vois mes amis, ils ne sont pas comme ça... A écouter la façon dont ils en parlent, je ne réagis pas du tout normalement quand je vois une belle fille... est-ce grave ?
-Comment devrais-tu réagir ?
-Je ne sais pas...
-Comme le loup de Tex Avery ?
-Peut-être...
-Non. Et pour répondre à ta question, non, je ne pense pas que c'est grave.
Elle m'invite à prendre le temps de construire une relation sans me mettre aucune pression. Me dit que les choses se feront naturellement.

Je sors de ce rendez-vous un peu plus léger... d'abord par le fait d'avoir été écouté avec attention, d'avoir pu en parler simplement, et d'avoir reçu une réponse rassurante.
Je vais donc attendre de devenir normal. Est-ce qu'un jour je me réveillerai, le ciel sera bleu, les oiseaux chanteront, et j'aurai envie de baiser comme tout le monde ? Je ressentirai enfin que je fais partie de la communauté humaine à part entière ? Je serai libéré de ce poids-là ? C'est l'espoir que j'ai alors en quittant cette consultation...

A bientôt pour un prochain épisode.

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