dimanche 25 avril 2021

Questionnaire pour savoir si on est asexuel ou non

Sur le forum AVEN, qui parle d'asexualité, et que je consulte très régulièrement, voici les différents titres de topics qui s'affichent à l'heure où j'écris ces lignes :

"Je ne sais pas comment me définir"

"Besoin d'avis suis-je asexuelle ?"

"Et si j'étais asexuel ?"

De très nombreuses personnes viennent poster leurs doutes, leurs interrogations. Quel mot peut-on mettre sur ce qu'elles ressentent ? Quel terme va pouvoir s'appliquer à leur rapport à la sexualité ? Ils se tourmentent, se sentent à part, exclus de la "norme", et veulent savoir si le mot "asexuel" peut apparaître comme la réponse qu'ils attendent. Pouvoir enfin mettre un mot sur une différence, que l'on ressent vis-à-vis des autres, est si libérateur ! 

Quels sont les critères exacts pour se considérer Asexuel ? Comment sait-on si l'on n'est pas simplement un Sexuel (un S) qui ne s'est pas encore trouvé ?

On pourrait répondre, à raison, à cette question, qu'est asexuelle chaque personne qui se reconnaît dans ce terme. 

Le principal critère est peut-être là : si en découvrant le concept d'asexualité, vous avez le sentiment qu'il exprime quelque chose de vous sur lequel vous n'arriviez pas jusqu'à présent à mettre de mot... eh bien il est justement fait pour ça, donc servez-vous.   

Mais au-delà de ce principe de départ, pourrait-on dégager des critères précis et objectifs de ce qu'est l'asexualité ? 

Après avoir lu de très nombreux témoignages sur des forums consacrés au sujet, j'ai eu l'idée de ce questionnaire en dix points. 

Je l'ai fait remplir à des personnes asexuelles. Il semble, de mes premières conclusions, que pour le moment toute personne se définissant comme asexuelle réponde "oui" à au moins 7 de ces questions. 

Je ne crois bien sûr pas à l'idée d'un questionnaire qui engendrerait systématiquement 10 réponses positives de la part de tout asexuel. Le terme regroupe des cas individuels extrêmement variés, et il est paraît dès lors impossible de créer une liste qui puisse recouper chaque expérience personnelle. 

Un questionnaire obtenant toujours au moins 7 réponses positives aurait déjà le mérite d'exister.

Voici la liste de questions: 

1) Pourriez-vous dire : "je ne me sens ni vraiment hétérosexuel, ni vraiment homosexuel, ni vraiment bisexuel" ?

2) Pourriez-vous dire : "faire l'amour n'est pas un besoin pour moi" ?

3) Pourriez-vous dire : "je ne ressens aucun manque d'ordre sexuel lorsque je ne fais pas l'amour" ?

4) Pourriez-vous dire : "j'ai l'impression d'avoir une libido beaucoup plus faible que celle de la majorité des gens ?"

5) Pourriez-vous dire : "je comprends mal la place qui est accordée au sexe dans le monde" ?

6) Pourriez-vous dire : "j'ai parfois eu l'impression que mon manque d'attrait pour le sexe faisait de moi quelqu'un d'"anormal", différent des autres" ?

7) Pourriez-vous dire : "je ne ressens pas de souffrance psychologique à ne pas faire l'amour. Ou si j'en ressens une, elle n'est pas liée à de la frustration sexuelle, mais plutôt liée au fait de me sentir à part dans un monde qui fait de la sexualité quelque chose de très important, ou alors liée à la peine que je peux causer à mon partenaire" ?

8) Pourriez-vous dire : "je n'ai pas de fantasmes, ou si j'en ai, je préfère toujours, ou la grande majorité du temps, qu'ils demeurent à l'état de fantasmes et ne soient pas réalisés" ?

9) Pourriez-vous dire : "si je suis désintéressé par le sexe, ce n'est pas, ou pas uniquement, parce que j'en ai peur ?"

10) Pourriez-vous dire : "la sexualité avec autrui ne fait pas partie des éléments nécessaires à mon équilibre personnel" ?

Précisons tout de suite que les résultats ne pourront jamais rien constituer d'autre qu'une simple indication. Un test ne permet évidemment pas d'établir avec certitude une orientation sexuelle (d'autant plus que les désirs et la libido sont en constante évolution). Il n'aura pas vocation à confirmer ou infirmer définitivement une hypothèse. Il pourra tout au plus être un outil de réflexion. 

Par conséquent, si vous avez 7 oui ou davantage,  cela ne vous définira pas de manière intangible, inamovible et incontestable comme asexuel. Mais si vous êtes dans un questionnement sur le sujet, cela pourra peut-être vous aider à considérer sérieusement l'éventualité. 

Et si vous avez moins de 7 oui, cela n'exclura pas non plus que vous puissiez être asexuel malgré tout. 

Ce questionnaire en est au stade d'essai, de tentative... il n'est qu'une première base, faite pour être enrichie et dépassée.

Si jamais vous avez des remarques, n'hésitez pas à les poster en commentaire !


lundi 27 avril 2020

Aromantique ?

L'autre nuit (celle de vendredi à samedi...), j'ai fait un rêve étrange: j'étais en couple avec quelqu'un, et ça se passait bien. Je n'en ai qu'un souvenir très furtif. Comme d'habitude je me souviens souvent parfaitement de rêves sans aucun intérêt, et celui-là, si étonnant dans son principe, je l'ai oublié quasi totalement. Je revois très vaguement la fille en question, du moins son look: elle était habillée en jogging (période de confinement oblige ? 😄). Je crois que des gens critiquaient notre relation, et que je leur disais qu'au contraire, ça se passait bien. Il ne me semble pas avoir déjà fait de rêve du genre. Il ne se passait rien de sexuel, par contre. Je ne sais pas ce que c'est qu'un rêve érotique.

Suis-je aromantique ? Je me pose bien entendu cette question. J'ai déjà raconté à quel point le moindre début de flirt me donnait toujours envie de fuir à toutes jambes.

Je me dis que la vie elle-même répond parfois aux questions que l'on se pose. En 40 ans, je n'ai jamais supporté une seule fois d'être en relation, je n'ai jamais une seule fois rencontré quelqu'un avec qui cela semblait pouvoir se produire, je n'en ai jamais vraiment souffert, je ne peux pas dire non plus que je suis déjà véritablement tombé amoureux même si j'ai parfois eu des inclinaisons romantiques envers des gens... tout cela peut constituer un début de réponse.

Je n'ai cependant pas renoncé au couple comme je l'ai dit plusieurs fois.  Donc après le top 10 de tout ce qui me rebute dans cette idée, j'ai envie, en éternel geek, de poster le top de ce qui peut me donner envie.

1) La curiosité. J'aime tenter de nouvelles expériences. J'ai besoin de me confronter vraiment aux choses pour savoir si elles me plaisent ou pas. Je ne l'ai jamais fait véritablement avec le couple, parce que je ne veux pas être avec quelqu'un qui va me demander du sexe (auquel je n'ai pas besoin pour le coup de me confronter pour savoir qu'il ne m'intéresse pas, parce qu'il repose sur une pulsion de désir que je n'ai pas).

2) Avoir quelqu'un à rendre heureux. J'ai toujours voulu avoir une vie qui soit le moins égoïste possible. Mais dans les faits, elle l'est peut-être un peu. J'essaye de donner aux autres à travers mon métier (et j'écris aussi ce blog dans l'espoir, pourquoi pas, d'aider des gens qui pourraient se reconnaître dans ce que j'écris), mais ça ne suffit pas toujours. Entendons-nous bien: je ne fais aucun parallèle entre le fait d'être célibataire et le fait d'être égoïste. Ca n'a RIEN à voir, même si je l'entends souvent dire (j'ai souvent envie de demander aux gens qui disent cela qui est le plus égoïste entre l'abbé Pierre et un mari violent ?). Disons simplement que j'aimerais expérimenter cette façon-là de penser à quelqu'un d'autre. Dans la série Treme, que je découvre en cette période de confinement, il y a cet épisode dans lequel un type essaye de convaincre sa copine de rester à la Nouvelle-Orléans. Il lui organise toute une journée, où il l'emmène dans de nombreux lieux, lui prépare plein de surprises, pour la convaincre de rester. Eh bien voilà, ça c'est un plaisir que je ne connais pas, que je peux concevoir, dans lequel je peux me projeter, et que j'aimerais connaître. Avoir quelqu'un à qui on peut préparer ce genre de surprises, et voir l'étincelle de bonheur dans ses yeux.

3) Avoir (et donner) du soutien. La valeur de l'indépendance, c'est la liberté, mais le prix à payer, c'est de renoncer à quelqu'un qui croit en vous et peut vous donner de la force. Je disais dans l'article précédent que l'abstinence sexuelle m'avait parfois aidé à me transcender, mais je ne dirais pas la même chose de la solitude. Lorsque j'ai besoin de soutien, et que je ne peux pas en avoir auprès d'amis, j'ai tendance à user de la solution de facilité, c'est-à-dire me tourner vers ma famille, ce qui est très mauvais pour moi. Je suis encore beaucoup trop dépendant d'eux et j'en souffre. J'ai réussi, notamment grâce à la psychanalyse, à me détacher d'eux, mais pas suffisamment. Il me faudrait un échappatoire. Mais il ne faut pas non plus attendre du couple qu'il puisse nous "sauver", car c'est un fardeau trop lourd à mettre sur les épaules de quelqu'un d'autre, Fabrice Luchini en parle dans cette géniale vidéo, à voir absolument si vous ne la connaissez pas.



4) Une personne spéciale avec laquelle partager de bons moments (voyager, regarder des films, des séries, aller à des concerts). Bon, ça peut se faire avec des amis, me direz-vous. Et ça pose aussi un problème: j'ai tendance à faire passer mes désirs après ceux des autres. Avec les gens, je fais très souvent des compromis sur ce que j'ai envie de faire. Mes désirs rejoignent rarement les leur. A tous les niveaux, j'ai des goûts un peu en marge, qui ne sont pas partagés par la plupart. Je ne veux pas imposer mes envies aux autres... et ce sont souvent eux qui m'imposent les leur. Je me dis souvent qu'en couple, j'ai toutes les chances de reproduire ce schéma et de me faire bouffer par lui.

5) Lire des histoires de couples asexuels sur des forums. On en lit sur AVEN par exemple, et ça peut donner envie d'en vivre.

Quelques questions que vous vous posez peut-être en lisant tout ça (ou que je me pose à moi-même en écrivant):

Fais-tu des efforts pour faire une rencontre ? 

Je ne me ferme à rien. Je sors régulièrement, je travaille aux quatre coins de la France, et j'ai donc l'occasion de faire de multiples rencontres. Je ne me vois pas m'inscrire en revanche sur des applications comme Tinder, Adopteunmec... à tort ou à raison, j'ai le sentiment qu'elles ne sont pas faites pour les personnes asexuelles, et que j'y serai comme un poisson hors de l'eau.

Fais-tu des efforts pour rencontrer des asexuels dans la vie, et nouer des relations avec eux ? 

Non, aucun pour le moment, j'en parle ici...

Es-tu prêt à en faire ? 

Peut-être. Pas de la façon dont je l'ai déjà fait (me rendre à des réunions ouvertes), mais plutôt en sympathisant d'abord "virtuellement" sur Internet avec des gens pour avoir envie de les rencontrer ensuite.

Voilà, j'ai tellement pris l'habitude de me justifier auprès de mon entourage que je dois même me justifier auprès de moi-même, ou de questions imaginaires qu'on ne m'a pas posé. Comme si trouver l'amour n'était qu'une question d'"efforts justes" à fournir. De se "bouger le cul". D'oser simplement "traverser la rue". On sait très bien que ce n'est pas le cas.

On peut aussi constater que je ne trouve que 5 raisons d'expérimenter la relation amoureuse (et encore, la raison 4 n'en est pas vraiment une puisque j'explique comment elle pourrait se retourner contre moi), quand j'en trouvais 10 de la fuir.

KO debout au profit du célibat, alors ?

Pourtant, si je me reconnais dans le terme de greysexuel, je ne me reconnais pas encore dans celui d'aromantique... et ne fais pas encore une croix sur l'idée d'avoir un jour une relation qui ressemble à la conception que je puisse m'en faire.

A bientôt pour un prochain épisode.

jeudi 23 avril 2020

Ne pas baiser, c'est rater sa vie ? (spoiler: non)

Lorsque l'on parcourt des forums, il est fréquent de tomber sur des messages de membres qui viennent de découvrir qu'ils sont asexuels, et qui craignent qu'une vie privée de sexe soit nécessairement synonyme de tristesse et d'ennui.

Voici ce que j'ai lu il y a encore quelques jours sur un forum américain.

L'idée d'être asexuel me déprimait. J'avais cette idée que l'on ne pouvait pas vivre une existence bien remplie ou particulièrement intéressante en étant ace. 

Moi-même, lorsque j'ai essayé pendant toutes ces années de me changer, de devenir "normal", il y avait en creux cette idée dans ma tête: si je ne baise pas, je vais rater ma vie.

Est-ce une idée justifiée ou non ?

La question est complexe évidemment dans la mesure où chacun a son idée personnelle de ce que peut signifier "réussir" ou "rater" sa vie (je n'ai d'ailleurs jamais aimé cette formulation des choses: la vie est-elle un examen ? On aurait pu me prévenir, j'ai loupé tous les cours et n'ai fait aucune révision !).

La première est une sorte d'évidence: on peut très bien ne jamais pratiquer le sexe, ou le pratiquer extrêmement peu, et accomplir malgré tout de très très grandes choses lors de son passage sur Terre. De Jeanne d'Arc à JM Barrie en passant par Emily Bronte, Franz Schubert, Lewis Carroll, Emmanuel Kant ou Isaac Newton, les exemples sont légion.

La deuxième est moins évidente: certains affirment que c'est le fait même de se passer de sexe qui les conduit à accomplir de grandes choses...

En voici quelques exemples.

John Frusciante


John Frusciante est le génial guitariste du groupe Red Hot Chili Peppers, et il est en grande partie créateur du son qui a rendu ce groupe si incontournable.

Il est également l'auteur de plusieurs albums en solo, au succès plus confidentiel mais qui ont une aura de disques-cultes auprès de nombreux fans (je recommande personnellement l'excellent To record only water for ten days).



Dans la vidéo ci-dessus, John se confie sur son rapport personnel au sexe. Voici ses mots:

Je n'y passe vraiment pas beaucoup de temps. Ces derniers temps je n'ai couché avec personne, parce que je n'y prends aucun plaisir. J'ai arrêté d'y prendre plaisir à un moment donné. En ce moment je me concentre à écrire mon album, de temps en temps je fais l'amour si je rencontre quelqu'un qui m'attire, et que je le sens vraiment dans mon corps, ce qui est rarissime pour moi.  
(Il raconte ensuite une histoire un peu longue et sans grand intérêt avec une de ses ex, semble-t-il complètement timbrée...)

Voilà le genre de filles que je rencontre... et voilà pourquoi je ne pratique plus le sexe, parce que je n'ai pas l'énergie de me confronter à ce type de situations, parce que je veux me concentrer à jouer de la musique.
On pourrait bien sûr se demander si cette vidéo n'a pas été tournée un jour où Frusciante était simplement de mauvais poil, en prise de tête avec sa nana de l'époque, et donc prêt à largement exagérer ou déformer la réalité... mais il a confirmé ces propos de nombreuses fois, et de multiples articles font référence à cette idée selon laquelle arrêter le sexe, qui ne l'épanouissait pas, lui a permis de développer ses talents musicaux. Pour preuve ce que l'on peut lire ici:

Pour se concentrer sur la spiritualité et la musique, il a décidé de s'abstenir de toute activité sexuelle. (...) Il a affirmé qu'il arrivait davantage à atteindre le septième ciel en se passant de drogue plutôt qu'en en prenant, la clé pour lui est simplement de se dédier à une activité qu'il aime. Il a également dit être la personne la plus heureuse au monde.  

Nikola Tesla


Nikola Tesla, qui ne baisait pas, n'en a pas moins changé le monde, pour le meilleur.




Cet article de France Culture le présente en ces termes:

Il est l’inventeur du courant alternatif, de l’électricité moderne, certainement des premières ondes radio, de la notion de télécommande et même d’une certaine façon de l’idée du wifi et des armes à énergie dirigées. Savant fou, perclus de TOCs, insomniaque chronique, profond humaniste, il a terminé sa vie ruiné et misérable dans une chambre d’hôtel à New York. Bref, Nikola TESLA a tout du savant maudit et un destin proprement shakespearien.

Selon de nombreuses sources concordantes, Tesla tenait exactement le même genre de discours que John Frusciante: sa chasteté était son meilleur allié pour se concentrer pleinement sur ses réflexions scientifiques et les faire avancer au maximum. Le seul but qu'il poursuivait, obsessionnellement, était de servir, grâce à son savoir, à améliorer les conditions de vie des gens dans le monde. Et c'est donc, peut-être, quelque part, en se désintéressant de la sexualité qu'il y est parvenu.

Trois observations personnelles sur tout cela: 


1) Je peux, à mon humble niveau qui n'est évidemment pas une seule seconde comparable de près ou de loin aux exemples cités ci-dessus, me retrouver dans ce qu'ils disent. Durant le long temps où je me suis pris la tête sur la sexualité, où j'ai essayé de changer et de devenir "S", j'ai eu  l'impression de perdre énormément d'énergie. Lorsque j'ai découvert le concept d'asexualité, que j'ai cessé de m'interroger sur moi-même et que j'ai tout simplement admis que le sexe ne m'intéressait pas, j'ai pu placer ailleurs toute cette énergie... dans mes passions (radio, théâtre, musique...). Je peux dire que j'ai alors beaucoup progressé et réalisé des choses plus intéressantes, qui trouvaient beaucoup plus d'écho auprès des gens.

2) Evidemment, je précise s'il en est besoin qu'il ne s'agit surtout pas là d'une règle générale. Elle est valable pour certains et pas pour d'autres. Je suis même convaincu que pour beaucoup de gens, sans doute même une très écrasante majorité, c'est la règle inverse qui va s'appliquer: une sexualité épanouie va les aider à se transcender. C'est le principe de l'investissement (pas d'argent mais d'énergie, en l'espèce): pour certains, investir dans la sexualité est très rentable, pour d'autres c'est un investissement à perte, et il faut investir ailleurs. Le problème de la société actuelle est peut-être qu'un discours (l'injonction sociale à avoir une vie sexuelle et sentimentale) est martelé, quand l'autre (pas la peine de baiser, ou même de chercher le grand amour, si vous n'en avez pas envie au fond de vous: votre réalisation personnelle est peut-être simplement ailleurs) n'a quasiment aucune place. Peut-être que nous avons perdu à cause de cela de nombreux John Frusciante ou Nikola Tesla, qui ont gaspillé une grande part de leur énergie à se vouloir "normaux", "sexualisés", "sentimentalisés" à tout prix, au détriment du développement d'autres talents...

3) C'est donc peut-être ce qu'il faut répondre à cet internaute que je cite au début de l'article. Non, être ace ne sera pas synonyme du tout d'une vie inintéressante et inutile, certainement pas. L'énergie que vous ne pouvez/voulez pas investir dans la sexualité a simplement vocation à être mieux employée ailleurs... mais c'est à vous de trouver dans quoi.

Kim Deal 


Concluons avec le cas de l'immense Kim Deal, bassiste du groupe-culte The Pixies, qui s'est dite asexuelle également (j'essayerai d'y revenir).



Interrogée sur le fait de ne pas avoir eu d'enfants dans cette interview, voici ce qu'elle répond:

But maybe if I was more organized in my life, maybe I could have done something about it, but you know then I think that maybe I'm too lazy to be a mother.

Elle dit en substance qu'elle n'a jamais été contre, mais que ce n'est simplement pas arrivé. Elle pense en réalité qu'elle aurait été trop flemmarde pour être une mère !

Merci à toi (je la tutoie, oui, je l'écoute depuis si longtemps !) Kim pour avoir dit cela.

La problématique des enfants est la même que celle de la sexualité (normal me direz-vous, les deux sujets sont un peu liés). Faut-il écouter l'injonction sociale, ou se laisser guider par ses envies personnelles ? Combien de gens se sont sentis obligés d'être parents alors que de toute évidence ils n'étaient pas faits pour l'être ? S'imaginer trop flemmard pour bien s'occuper de ses enfants, n'est-ce pas une excellente raison de ne pas en faire ?
Musicalement elle n'a jamais été paresseuse (elle a signé une quinzaine d'albums, avec ses différents groupes, entre les années 80 et aujourd'hui), et ses disques ont suscité la passion de nombreux fans à travers le monde. A-t-elle eu raison elle aussi, comme John Frusciante, de privilégier la musique ?

Chacun son idée. J'ai la mienne. 😄

dimanche 19 avril 2020

Greysexuel ?

L'asexualité est comme toutes les orientations sexuelles, davantage un spectre de couleurs possiblement nuancées qu'un état figé à jamais.

Au même titre que certains hétéros peuvent parfois occasionnellement avoir un petit faible pour une personne de leur sexe, ou certains homos pour une personne du sexe opposé, il est aussi possible pour certains asexuels (pas tous...) d'avoir parfois des envies, dans des circonstances bien précises.

Il y a par exemple le cas des demisexuels qui peuvent exceptionnellement ressentir une attirance envers quelqu'un avec lequel ils ont développé un fort lien affectueux.
Il y a également le cas plus complexe des greysexuels qui peuvent, très rarement, ressentir une attirance sexuelle envers quelqu'un... sans explication particulière.
Bien sûr, même chez un demisexuel ou un greysexuel, le principe général est de ne pas s'intéresser au sexe. Mais cela n'empêche pas quelques exceptions qui peuvent confirmer la règle, ici ou là.
Où est-ce que je me situe dans tout ça ?

Ayant parfois des fantasmes comme je l'ai dit ici, je ne peux sans doute pas me dire asexuel strict sans nuances. D'ailleurs je n'ai pas renoncé totalement à avoir des relations sexuelles un jour. Pour moi, cela n'aurait pas de sens. Pourquoi se fermer à quelque chose par principe et à tout jamais ? Aujourd'hui je n'en ai pas envie, et ne le recherche donc pas, mais qui sait demain ?

Si fantasmes je peux avoir, ils ne sont jamais dus au fait de connaître très intimement quelqu'un. Ils ne naissent pas comme cela. Rayons donc l'option de la demisexualité.

A partir du moment où j'ai au moins une fois dans ma vie ressenti quelque chose s'approchant de l'envie de relations sexuelles avec quelqu'un, sans avoir d'explications claires sur le pourquoi de cette personne et pas une autre, puis-je me considérer greysexuel ? Est-ce cela le principe ? Il semble que oui. Je dois donc l'être.

En effet, comme je le disais dès le premier article de ce blog, il a pu m'arriver, très rarement, peut-être pas d'avoir un désir de sexe au sens propre, mais au moins de pouvoir le concevoir, et de me dire que cela ne me déplairait pas. C'était plus de l'ordre du fantasme que de l'envie pure, comme je l'ai déjà évoqué. J'aimais en rêver à la rigueur, mais je n'avais pas forcément envie de le réaliser. Cela n'a donc rien changé à ma conviction d'être asexuel. Cela a simplement constitué quelques ilôts d'intérêt dans un océan d'indifférence. Mais ces ilôts étaient agréables à arpenter malgré tout !

Je pense évidemment à un exemple précis.

Elle s'appelle E. Je l'ai rencontrée il y a environ 13 ans, au boulot.
L'histoire est étonnante à plusieurs égards.
C'est ma responsable, qui, un après-midi, me dit ceci: "on a recruté une très jolie fille ! Ah, vous allez voir, je ne vous dis que ça !".
J'acquiesce poliment "ah, ben écoutez, c'est cool, tant mieux !" tout en pensant évidemment "ma pauvre, si tu savais...".

Ladite nana fait son arrivée quelques jours plus tard. Elle ne m'inspire au départ absolument rien. Mais les semaines passent... et je me mets à lui trouver un charme spécial. On aurait dit qu'elle avait trouvé des "codes", des attitudes, des mots, pour éveiller une forme de sensualité. Elle ne m'a jamais dragué ni "allumé"... ce n'était que, purement, dans sa façon d'être.
Je me suis aperçu que je pouvais fantasmer en pensant à elle... mais même, chose rarissime, de fantasmer véritablement d'un rapport physique. L'acte sexuel me paraissait, me paraît encore parfois aujourd'hui, mentalement, concevable avec cette personne. Et c'est l'une des très très rares à avoir provoqué cela chez moi.

Elle n'est restée que quelques mois dans ce boulot, avant de partir ailleurs. On ne s'est pas revus depuis... mais on est curieusement restés en contact sur Facebook, et on se donne curieusement de brèves nouvelles de temps en temps.

C'est quand même étonnant.  On ne s'est côtoyés que quelques mois il y a plus de 10 ans. On a juste été des collègues de boulot qui s'entendaient plutôt bien, on n'a jamais été proches ni même vraiment amis, on ne s'est jamais vus en dehors. Mais aujourd'hui encore on continue à échanger parfois.
Je suis même surpris parfois de la confiance qu'elle m'accorde. Il y a quelques jours, j'ai pris de ses nouvelles au début du confinement. Elle a évoqué un travail d'écriture personnel, qu'elle m'a proposé de lire lorsqu'il serait achevé. J'en ai été assez étonné: pourquoi me montrer cela à moi, qui n'ai jamais été proche de quelque façon que ce soit ?

Cette attirance pourrait-elle avoir été réciproque ? Difficile à dire. Je n'en ai aucune idée. A plusieurs reprises, lors d'échanges sur Internet, elle a évoqué la possibilité qu'on se revoie, et l'a même parfois directement proposé. Cela ne s'est jamais fait pour le moment, notamment parce que nous sommes séparés par quelques 900 kilomètres. Je n'ai pas fait non plus beaucoup d'efforts pour que cela se produise. Pourquoi ?

De ce que je connais d'elle (pas grand-chose au fond...) j'ai l'impression qu'on est très différents, avec peu d'intérêts communs, des sensibilités dissemblables sur plein de choses. J'ai un peu de mal à nous imaginer devenir amis.

"Oui, mais justement, l'idée n'est pas de devenir amis, mais de peut-être avoir d'autres types d'activités...", pensez-vous peut-être.
J'en reviens à ce que j'écrivais dans cet article: le fantasme et le désir sont deux choses très différentes, particulièrement pour un A.

Peut-être que je tiens à ce que cela reste ainsi: un fantasme auquel j'aime penser de temps en temps. Peut-être qu'elle n'est rien d'autre, et ne pourra jamais rien être d'autre pour moi.
Mais peut-être que si.  Peut-être que le fait d'être resté de longues années en contact ainsi, sans même s'être jamais vraiment connus, est quand même signe de quelque chose d'atypique, et peut-être que cette relation prendra à l'avenir des formes que je n'imagine pas encore.

A bientôt pour un prochain épisode.

jeudi 16 avril 2020

Asexualité et aromantisme en chansons

Je m'interrogeais ces derniers jours à savoir quelle serait la chanson qui illustrerait le mieux l'asexualité pour moi. Rien ne me venait.
Il y a deux jours, comme une sorte de signe du ciel, je tombe totalement par hasard sur cette chanson inconnue au bataillon, en écoutant l'excellente webradio FIP rock. Je ne sais pas si elle a été écrite consciemment sur ce sujet-là, mais elle en parle en tout cas magnifiquement.

Boygenius - Bite the hand

I can't touch you, I wouldn't if I could
I can't love you how you want me to
(...)
But you want what I can't give to you





La sexualité est beaucoup chantée dans la pop évidemment. Existe-t-il des chansons sur l'asexualité, l'aromantisme ? En voici quelques unes que l'on peut en tout cas lier à ces thèmes...

Ces chansons que l'on peut entendre comme portant sur l'asexualité et l'aromantisme...


Le premier exemple qui me vient, ce sont les Smiths. Morrissey, chanteur du groupe, est d'ailleurs souvent cité parmi les célébrités asexuelles. Il a plusieurs fois évoqué en effet son désintérêt pour la chose, avant de relativiser ses propos et de se dire "attiré par les humains, mais pas par beaucoup".

Peut-être est-ce pour cela que la solitude, l'impossibilité à trouver de l'amour ou même simplement de la chaleur humaine sont au coeur de son oeuvre.
Ce sentiment d'être totalement "à part", "exclu" dans le grand jeu de l'amour, de la séduction et du sexe, qui peut sembler si facile à d'autres, habite toutes ses chansons, de How soon is now à That joke isn't funny anymore, en passant par celle-ci.

The Smiths - I know it's over 

Love is natural and real... 
But not for you my love... not tonight my love




L'amour est naturel et réel... mais pas pour toi. 
Adolescent, ces paroles me hantaient littéralement.

C'est tellement ça ! J'entends partout que le sentiment amoureux est la chose la plus naturelle au monde... eh bien, pas pour moi visiblement !

Les films, les livres, me disent que je pourrais très bien rencontrer l'amour passionnel et charnel ce soir, en allant acheter mes clopes au tabac... Mais moi je sens que non, je sais que non, je vois bien que je suis fait différemment des autres, et cela me donne parfois un sentiment d'isolation du monde. Merci Morrissey de me donner une voix à travers ta musique.

Bien sûr, on pourra me dire qu'il est loin d'être le seul à chanter cela.
Je me souviens de ce film "Tout le monde dit I love you" de Woody Allen (déjà, le titre... ben non, pas moi, désolé !)
Après une rupture sentimentale, les personnages pensent ne plus être capables d'aimer à nouveau et chantent "I'm through with love"...




Mais nous sommes bien dans une comédie romantique, et nous savons qu'ils vont aimer à nouveau avant le mot FIN. La chanson est une forme d'ironie: on sait que celui la chante se trompe.
Chez les Smiths, c'est différent. Il est question de ceux qui vraiment, ont un problème interne avec l'amour. Ceux qui pensent qu'ils ne tomberont pas amoureux... et à qui les faits donnent raison, en quelques sortes !

- Un deuxième exemple qui me vient en tête est celui de la chanteuse de rock Juliana Hatfield. Personnalité atypique, indépendante, elle n'a pas eu peur en interview de se dire vierge à l'âge de 25 ans. On ne sait pas grand-chose de l'orientation sexuelle de Juliana Hatfield et cela ne regarde qu'elle, mais certains des titres de son premier album peuvent trouver un certain écho sur le sujet de l'asexualité...

Juliana Hatfield - For the birds

I don't care for boys or girls,
I'd rather hang around with the birds 





- Troisième exemple, l'immense Aimee Mann, qui chante elle aussi souvent sa difficulté profonde à croire en l'amour. Dans sa chanson Deathly, elle demande à l'un de ses prétendants de la laisser tranquille. Elle semble savoir que la relation est condamnée à l'échec avant même d'avoir commencé, car elle se sent inadaptée, et pense que sa personnalité constituera un problème.

Aimee Mann - Deathly

So don't work your stuff
Because I've got troubles enough
No, don't pick on me
(...)
'Cause I'm just a problem
For you to solve





Cette chanson m'a souvent parlé également.
Ne perds pas ton temps, ça le fera pas: c'est un peu ce que j'ai toujours envie de dire au fond à chaque fois qu'un(e) S semble vouloir dépasser la sphère simplement amicale. J'ai peut-être tort d'ailleurs, car des relations A/S peuvent aussi exister, même si c'est rare...

Dans la pop, il y a aussi d'autres types de chansons... qui peuvent bien sûr présenter celui qui ne baise pas ou celui qui n'est pas amoureux, comme quelqu'un qui "passe à côté de la vie". A l'image des précédentes, ce n'est peut-être pas leur but premier, mais disons qu'on peut les comprendre ainsi.

En réalité, elles sont toutes aussi peu nombreuses que les premières, car globalement les chansons de pop s'intéressent soit à ceux qui baisent, soit à ceux qui a minima ont très envie de baiser. 😅

Les "exclus" du sexe ne passionnent pas plus la pop music que la littérature ou le cinéma, à quelques exceptions près. 

Ces chansons qui semblent suggérer que la sexualité doit être un aspect essentiel de la vie...


La vie par procuration de Jean-Jacques Goldman (dont j'adore beaucoup de chansons, je le précise) est un des rares titres, à ma connaissance, qui parlent d'une femme sans amants. Elle est décrite comme une sorte d'anomalie qui n'a aucun contact, vit recluse et présente des pathologies sociales voire psychologiques, quelqu'un de plus proche de "l'ombre" que de l'être humain.

Jean-Jacques Goldman - La vie par procuration

Des crèmes et des bains
Qui font la peau douce
Mais ça fait bien loin
Que personne ne la touche
Des mois, des années
Sans personne à aimer
Et jour après jour
L'oubli de l'amour




Pour Alain Souchon, dont j'apprécie beaucoup de chansons également, c'est ce qui se trouve "sous les jupes des filles" qui guide la vie et le monde, dans un titre que j'ai toujours trouvé assez déprimant... il est cohérent avec cet autre tube, dans lequel il affirme que "la vie ne vaut rien, mais moi quand je tiens dans mes deux mains éblouies, les jolis petits seins de mon amie, là je dis rien ne vaut la vie !".

Alain Souchon - Sous les jupes des filles 

Elles savent
Que la seule chose qui tourne sur terre
C'est leurs robes légères
On en fait beaucoup
Se pencher tordre son cou
Pour voir l'infortune
À quoi nos vies se résument
Pour voir tout l'orgueil
Toutes les guerres avec les deuils
La mort la beauté
Les chansons d'été
Les rêves






Quant à Lynda Lemay, dans sa chanson Bande de dégonflés, elle exprime carrément - certes avec humour, mais quand même... - une forme de dédain envers les mecs qui ne bandent pas sur commande. Au moins c'est clair !

Lynda Lemay - Bande de dégonflés 

Bien sûr, c'est pas la fin du monde
Mais d'là à dire que c'est pas grave
Qu'ça peut arriver à tout l'monde
Qu'ça rend moins beau et moins brave
Moi, j'aurais quand même objection
À faire mention de courage
Quand c'est fuyant comme un savon
Et que ça fond pendant l'massage




Entendons-nous bien: je ne trouve aucune de ces chansons "offensantes".
Je peux même dire pour certaines d'entre elles que je les aime (celle de Goldman par exemple).

J'en parle simplement parce que ces chansons sont en quelques sortes l'écho de discours et d'images encore présentes dans la société.

Mais je ne les prends aucunement comme des attaques personnelles, et peux les apprécier sur le plan mélodique et au niveau musical.

On a d'ailleurs toujours le choix d'écouter ou ne pas écouter un morceau ! D'autant plus que dans tous les domaines musicaux, asexuels et aromantiques peuvent avoir de bonnes surprises.

Même dans le rap, où il est fréquent de vanter ses nombreuses conquêtes sexuelles dans un langage plus ou moins fleuri, G Eazy et Bebe Rexha proclament à l'inverse leur goût à être seuls dans un titre entêtant, que l'on pourrait vraiment voir comme une ode à l'aromantisme.

G Eazy - Bebe Rexha - Me myself and I 

It's just me, myself and I
Solo ride until I die
'Cause I got me for life
I don't need a hand to hold
Even when the night is cold
I got that fire in my soul






Un Jimmy Somerville de l'asexualité ? 


Pour conclure, j'ai un souvenir très fort d'un reportage vu à la télévision, qui évoquait la perception de l'homosexualité au fil des époques.
Si elle a pu rentrer en partie dans les moeurs, c'est notamment grâce à la musique.
Je me souviens d'un gay, dans ce reportage, disant, avec une lumière intense dans les yeux : "God bless Jimmy Somerville". Pour lui, la popularité de groupes comme Bronski Beat a fait énormément avancer la cause.


Pourrait-il y avoir un jour un chanteur, une chanteuse, un groupe qui porte la thématique de l'asexualité et la fasse mieux comprendre et accepter aux yeux des autres, comme certains musiciens ont pu le faire avec l'homosexualité ?
Le rêve est permis !

A bientôt pour un prochain épisode.

lundi 13 avril 2020

Asexualité et coming-out

Je ne sais pas si je ferai lire ce blog à beaucoup de mes proches. Dans l'immédiat je ne le fais pas, et je ne pense en tout cas pas le faire tout de suite. Je l'ai fait lire à ma soeur, avec qui j'avais déjà abordé tous ces questionnements depuis longtemps. J'en ai parlé hier au téléphone à cet ami S qui m'avait fait découvrir les forums d'asexualité (j'en ai parlé dans un précédent article).  Mais pour ce qui est de le montrer à d'autres membres de ma famille ou à d'autres amis... je ne sais pas. J'écris d'ailleurs sous pseudonyme: Tom Bonner n'est pas mon vrai nom.

Je n'ai aucun problème à le faire lire à des asexuels en le postant sur des forums. Je lis toujours les réactions avec curiosité et grand intérêt, suis très intéressé à savoir si certains pourront se retrouver dans ce que j'écris, si d'autres pourront avoir un autre vécu ou des interrogations différentes, et de confronter nos expériences et ressentis.

C'est spécial quand même... Ces inconnus me connaissent, à certains égards, plus intimement que certaines personnes que je côtoie depuis 15 ans, avec lesquels je n'ai jamais abordé directement tous ces sujets.

Vous qui êtes tombés par hasard sur ce blog, vous êtes évidemment les bienvenus également, ai-je besoin de le préciser !

Pourquoi est-il si difficile pour moi de dire à mes proches: "voilà, je suis asexuel, la sexualité ne m'intéresse pas, ce n'est pas une maladie, ce n'est pas un problème non plus, c'est simplement une orientation comme une autre" ?

Il y a plusieurs raisons à cela.

- Déjà je n'en ai tout simplement pas l'envie. A la plupart de mes amis et connaissances qui m'interrogent, je dis simplement "je me sens bien célibataire, et je fais partie de ces gens qui ont très peu de besoins sexuels, donc tout va bien". Une fois ceci dit, en général on me fiche la paix. Puisque j'ai déjà la paix, je ne vois pas l'intérêt d'en dire plus, et de risquer d'être mal compris !

- ... Car ce risque existe évidemment. L'asexualité est un concept relativement nouveau, difficile à expliquer aux gens.  J'ai ainsi peur d'avoir de nouveau droit à des commentaires du type: "es-tu es sûr que tu n'as pas simplement peur du sexe ?" "es-tu bien certain d'avoir suffisamment essayé ?", toutes ces choses que l'on m'a dites pendant tant d'années, qui n'ont jamais fait évoluer quoi que ce soit, et que l'on ne me dit plus aujourd'hui.

- J'ai peur également d'être toujours renvoyé à cela. "Tu dis ceci parce que tu es asexuel et que tu n'as jamais connu l'amour physique", "tu dis cela mais tu ne peux pas savoir de quoi tu parles véritablement", "tu penses telle chose mais c'est normal, étant asexuel, tu ne peux pas vraiment comprendre...". C'est l'expérience qui parle. Il y a une quinzaine d'années, j'avais eu droit à des réflexions du type: "Ah mais tu n'as jamais été amoureux ? Ok, je comprends mieux pourquoi tu aimes ceci ou cela, et pas ceci ou cela !", comme si mon identité était résumable à cela. Je pense en général être ouvert d'esprit, et je me suis toujours efforcé de ne pas mal prendre les différents commentaires ou questionnements de mon entourage, mais cette phrase fait partie des choses les plus blessantes que j'ai pu entendre.

- Je me demande si plusieurs de mes amis, mêmes parfois proches, ne pourraient pas malgré tout ressentir un sentiment de trahison en lisant ces articles. Comme je le dis plus haut, je leur ai souvent dit que j'avais "très peu de besoins sexuels". Cette affirmation est fausse, puisque je n'ai aucun besoin sexuel. J'ai parfois joué à être normal auprès d'eux, sans avoir l'impression de leur mentir pour autant. Il me suffisait d'extrapoler les petits fantasmes que je pouvais avoir pour leur faire croire que moi aussi, j'avais parfois de réelles envies sexuelles. C'est le jeu social en quelques sortes: chacun peut porter un masque à sa façon pour garder la part de jardin secret qu'il souhaite, même auprès d'amis de longue date. J'ai parfois dit à certains d'entre eux que j'avais déjà eu des relations sexuelles, ce qui est faux... simplement parce que je ne voulais pas être embêté avec ça. Et aussi parce que je ne voulais pas prendre le risque que ce soit répété à d'autres, à qui je n'ai pas envie de le dire. Je sais qu'avec un petit verre dans le nez, il est facile et tentant pour de très nombreuses personnes de se laisser aller au jeu du "ne le répète surtout pas, il m'a demandé de ne rien dire, mais...".

La situation qui est la mienne me convient donc bien: j'ai l'impression d'être vu par la plupart des gens comme quelqu'un qui simplement n'est pas très intéressé par le cul. Certains pensent que j'ai déjà eu des expériences, d'autres pensent que non. Certains pensent que ça viendra, d'autres pensent que non. J'en dis un peu mais pas beaucoup, je fais comprendre que le reste relève de mon intimité pure et simple, et du coup, en général, personne ne me questionne davantage.

L'asexualité est un sujet qui me passionne suffisamment pour avoir envie d'écrire un blog sur le sujet... mais pour ce qui est de mes proches, je préfère choisir au fur et à mesure qui pourra jeter un oeil sur ces réflexions.

A bientôt pour un prochain épisode.

samedi 11 avril 2020

Asexualité et cinéma

Le cinéma fait partie de ce qui me passionne le plus depuis l'enfance. J'adore voir tous types de films, de toutes nationalités, récents ou anciens, de genre ou d'auteur.

Pour évoquer le sexisme ordinaire que l'on trouve dans beaucoup de films, la réalisatrice Céline Sciamma, dans cette interview, dit ceci: "j'ai passé ma vie à aimer des films qui ne m'aimaient pas".

Je dirais les choses autrement pour ma part: j'ai passé ma vie à m'intéresser à des films qui ne s'intéressaient pas à moi.

Car, bien sûr, le sexe est partout au cinéma. Il en est question dans une très écrasante majorité de films. Soit le héros et l'héroïne vont avoir une relation sexuelle, soit le personnage principal va à un moment donné chercher à avoir du sexe, soit il en sera simplement question dans de nombreux dialogues. Cela concerne environ 99% des films.

Cela n'a rien d'absurde évidemment: les gens, dans leur immense majorité, aiment le sexe et le pratiquent. C'est quelque chose d'important pour eux. Le cinéma ne fait que refléter cet état de fait, ni plus ni moins. Mais être cinéphile asexuel est s'exposer, la plupart du temps, à voir pointée cette différence que nous avons avec l'essentiel de la société. Pour moi, ce n'est pas grave, je l'accepte.

Il existe peut-être quelques films ayant directement et frontalement traité le sujet de l'asexualité. Pour ma part je n'en ai jamais vu aucun.

Je vais donc évoquer simplement ici quelques films qui montrent des personnages semblant peu ou pas intéressés par la sexualité, même si cette asexualité supposée n'est jamais le sujet à part entière de l'oeuvre. Ces films m'ont, personnellement, fait du bien lorsque je les ai vus.




Sexe, mensonge et vidéo - Steven Soderbergh - 1989

J'ai vu ce film à 17 ans, à un moment où de nombreuses questions se posaient dans ma tête. C'était l'une des premières fois que je voyais un personnage (celui d'Ann, incarné par Andie McDowell) affirmer ouvertement dans un film ne pas prendre beaucoup de plaisir au sexe, n'être pas vraiment attirée par la chose. Et c'était en tout cas la première fois, sans aucun doute, que je voyais un personnage dire quelque chose de cet ordre, sans que cela n'ait l'air d'être un ressort comique ou de stigmatisation du personnage en question. Dans Sexe, mensonge et vidéo, Ann n'est pas privée de tout désir (elle est probablement ce que l'on pourrait appeler une graysexuelle), et elle semble d'ailleurs retrouver une vie sexuelle à la fin du film. Mais il était important pour moi de voir, à cet âge-là, que le cinéma pouvait aussi montrer cette réalité là: celle de gens pour qui le plaisir de la sexualité n'est pas un implicite, un point de départ établi.




Le silence des agneaux - Jonathan Demme - 1991

Vous êtes sans doute nombreux à avoir vu ce formidable thriller. Clarice Starling (Jodie Foster) enquête sur un tueur en série nommé Buffalo Bill et, pour cela, doit s'entretenir avec un psychiatre cannibale enfermé en prison, Hannibal Lecter. Clarice est-elle asexuelle ? Il me semble en tout cas que le film la montre comme désintéressée de la sexualité. Elle a bien une forme de relation de séduction avec Hannibal Lecter... mais qui semble avant tout intellectuelle.  Les seuls problèmes qui se posent pour elle sont: parviendra-t-elle à arrêter Buffalo Bill, ce dangereux tueur en série ? Parviendra-t-elle à faire taire ces agneaux qui crient dans sa tête suite à un traumatisme d'enfance ? Elle n'a personne dans sa vie et ce n'est un problème pour elle à aucun moment. De combien de films peut-on dire cela du personnage principal ?

J'étais donc heureux d'avoir donc vu ces films à l'adolescence... mais il me manquait cependant quand même un personnage masculin. J'y arrive.




Junior Bonner, le dernier bagarreur - Sam Peckinpah - 1972

Junior Bonner, c'est Steve McQueen, qui vadrouille de ville en ville pour faire du rodéo. Réussira-t-il à monter Sunshine, taureau particulièrement agressif ? Pourra-t-il ainsi gagner assez d'argent pour aider ses parents, qui sont dans le besoin ?
Naviguant entre le western, le drame et la comédie, ce film magnifique et mélancolique gagne vraiment à être découvert. Mais il a en plus une particularité étonnante.

Dans le rang des spectateurs de rodéo, Junior a une fan, magnifique, nommée Charmagne. Elle le dévore des yeux. Durant tout le film, on se dit qu'une histoire d'amour (ou au moins de sexe) va naître entre eux, que c'est inévitable, que nous sommes dans un film américain classique et que tous les spectateurs attendent cela. Sauf que cela n'arrive pas. Junior et elle flirtent un peu, platoniquement... Et à la fin du film, il repart simplement de son côté sur la route, faire du rodéo. Pourquoi cette histoire d'amour suggérée ne se produit jamais ? Je n'arrive pas à trouver d'autre explication que celle-ci: "il s'en fout". Cela ne l'intéresse pas. Il n'est visiblement pas à l'aise dans le domaine et cela ne semble pas le préoccuper.
Détail amusant: le vrai prénom de Junior dans ce film est... Ace ! Qui sera des années plus tard un terme employé pour évoquer justement une personne asexuelle. Le grand Sam Peckinpah aurait-il anticipé dès 1972 le concept de l'asexualité ?!




Into the wild - Sean Penn - 2008

Pour ce qui concerne tous les personnages précédemment abordés, je ne serais pas en mesure d'affirmer qu'ils sont asexuels. Ils ne montrent pas d'attrait franc pour la sexualité pendant les 2 heures où le spectateur les suit, c'est suffisamment rarissime au cinéma pour être noté (et faire du bien à un spectateur asexuel et/ou aromantique !), mais rien n'est sûr au fond quant à l'orientation de ces personnages.
Pour ce qui est de Christopher McCandless (magnifiquement incarné par Emile Hirsch) dans Into the wild, la question ne se pose plus vraiment. Refusant toutes les occasions qu'il a de flirter, il est objectivement caractérisé par sa recherche d'une liberté absolue, unique possibilité d'épanouissement pour lui, incompatible avec la simple idée d'envisager une relation autre qu'amicale avec quelqu'un. Je me rappelle avoir été extrêmement touché par ce film, que je n'ai cependant pas revu depuis sa sortie.



Le cas Richard Jewell - Clint Eastwood - 2019

Ce film de Clint Eastwood raconte l'histoire authentique de Richard Jewell, agent de sécurité américain qui déjoua un attentat dans un parc à Atlanta dans les années 90... avant d'être soupçonné, injustement, d'être l'auteur de ce même attentat.
Tel qu'il est monté dans le film, Richard Jewell a pour seul et unique intérêt dans la vie d'agir pour la sécurité de son pays, l'Amérique. C'est sa seule obsession, et il en néglige tout le reste, notamment la vie sociale et amoureuse (il vit chez sa mère).

Ce qui est intéressant à l'égard de notre sujet, c'est que le film montre que c'est - entre autres - cela qui a été considéré comme suspect chez lui.

Pour les policiers qui enquêtent sur l'attentat, la réflexion peut se résumer ainsi: "ce type est étrange, à son âge, il est célibataire, obèse, peu sociable, son unique obsession est de réussir dans le domaine de la sécurité, il a eu dans le passé de mauvaises expériences professionnelles , il vit encore chez sa mère... aurait-il voulu attirer l'attention sur lui, en posant d'abord une bombe, et en apparaissant ensuite comme le sauveur ? Est-il une sorte de pompier pyromane ?".

Alors même qu'il a objectivement agi en héros, Richard Jewell ne ressemble pas du tout à l'image classique du héros: séducteur, beau, "sexualisé", avec une vie telle que la société traditionnelle l'attend. Cela fait partie de ce qui va jouer contre lui, le faire considérer à tort comme un imposteur, et lui faire subir un harcèlement judiciaire épouvantable.

Même si à aucun moment du scénario Richard Jewell ne manifeste d'intérêt pour la sexualité, il n'est cependant pas possible d'affirmer qu'il est asexuel.

Cependant, le film parle très bien de ces préjugés et de cette suspicion qui peuvent entourer ceux dont les objectifs profonds sont détachés des schémas dits "normaux".

Ce "qu'est-ce qui ne va pas chez lui ?" qu'ont pu un jour ou l'autre connaître tous les asexuels va - en partie - être au coeur de l'éveil des soupçons contre Richard Jewell.

Les faits relatés datent de 1996. Espérons que les choses aient évolué depuis !

Voici pour conclure quelques autres films dont je me suis dit que le personnage principal était possiblement asexuel...

La fille inconnue -Jean-Pierre et Luc Dardenne (2016)

Le seigneur des anneaux - Peter Jackson (2001)

Les mondes de Ralph - Rich Moore (2012)

La reine des neiges - Jennifer Lee, Chris Buck (2013)

N'hésitez pas à compléter cette liste en commentaire...

Et à bientôt pour un prochain épisode.